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Citation de Tandarica


Mircea Cartarescu
La plaie

I.
hélas, la plaie s’est refermée
hélas, le sang a séché
et une escarre y a surgi
oh, seigneur, je suis guéri !

désormais le bonheur me croquera
ma sérénité me fendra
et la folie qui fut ne sera plus désormais,
non, je n’embrasserai plus son épaule.

ma vie se déroulera dans la paix et l’harmonie
avec des lectures riches, avec des repas réguliers.
ma santé mangera mes poumons.
la raison déchiquettera mon cerveau.

hélas, la plaie, ma chère plaie
agréable plaie de ma vie
plaie pour laquelle j’ai vécu, que j’ai grattée avec mes ongles
elle s’est refermé. oh, seigneur, je suis guéri !

et plus jamais la fièvre n’allumera
la lampe de la vie jusqu’à la calcination

II.
accepter l’évidence : je ne peux plus écrire de poésie.
je n’en suis plus capable, quelque chose en moi ne coopère plus.
j’ai écrit pendant des années avec haine, avec amour, et maintenant
mon cerveau est mort
j’ai commencé le marathon comme la course des cent mètres
j’ai voulu tout à la fois, j’ai voulu rendre fou mon lecteur.
j’ai oublié que la vie est longue.

je n’imaginais pas qu’un jour que je m’arrêterai, que je paierai
que tout ce que j’ai jamais fait se retournera contre moi
et je ne pourrai pas me rattraper
et que toute nouvelle tentative
ne sera qu’une autre déception.
qu’écrirai-je encore quarante ans ?
je vais serrer les dents, je vais écrire des articles critiques
ou qui sait quels souvenirs
j’accepterai la condescendance des jeunes, je ferrai profil bas
quand il s’agira de poésie, je ferai des traductions
pour que le monde ne m’oublie pas, pour faire semblant d’être encore en vie.
ou bien je publierai un volume de poèmes de ma jeunesse
si mauvais, que je ne les aurais mis dans aucun livre
et j’aurai un succès « de prestige », on m’appellera « l’auteur
des poèmes d’amour »,
le précurseur de dieu sait quelle poésie il y aura alors…
je ne sais pas, je ne sais pas…

jeunes amis, ne faites pas comme moi.
calculez votre poésie pour tenir soixante ans.
moi ? je ne sais pas où aller, j’ignore que pourrais-je faire d’autre
et je ne sais pas ce que je dois ressentir et ce que je peux imaginer.
cette fois je pense vraiment que c’est bouché.

je serai un vieux poète qui n’a pas écrit depuis des décennies
un survivant de sa propre mort
et qui aurait préféré ne jamais rien faire.

III.
la vie est-elle finie ? suis-je fini ?
suis-je un raté ? serai-je de la poussière ?
la mort viendra et tu me mépriseras
ce sera terrible, terrible.

je serai seul, plus seul que tous les hommes, seul.
sans personne, sans repos.
je comprendrai tout, ah, comprends-moi, et tout le monde m’aimera,
tout le monde s’en souviendra.

je suis perdu, perdu
mords ma bouche
il va beaucoup pleuvoir sur les routes, nous serons trempés jusqu’aux os.
nous apprendrons à détester

l’automne viendra, l’automne de l’esprit, la noyade.
nous aurons une bouche douce et chaude, la lune viendra
les nuages viendront à notre rencontre
et nous mourrons, nous ferons l’amour.

oui, oui, assieds-toi à côté de moi maintenant, regarde-moi. je suis fini, fini
il n’y aura que la mort autour.
les étoiles seront mortes, museau contre museau comme des chiens dans les rues.
les ongles vont mourir.

ça y est. Reste avec moi. ça en valait la peine ?
nous nous sommes retrouvés vivants.
ce fut terrible : j’ai vécu.
ce fut terrible, terrible.
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