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Citation de Tandarica


Miron Radu Paraschivescu
Sur la douleur

(Văleni, le 2 février 1971)

Elle est impersonnelle et la plus personnelle des manifestations. Elle ne concerne pas l’esprit mais le corps. Comme toute absurdité corporelle, elle se croît éternelle et se manifeste en conséquence. Trouver ton sentiment d’éternité dans le douleur, quel triste destin pour un homme. Mais de le retrouver jusqu’à devenir son frère, jusqu’à l’attendre, à guetter l’heure de son arrivée, cela est la forme de la décadence. Seuls les moralistes sans but et sans compréhension peuvent condamner le suicidé de la douleur ; car se suicider signifie à te démontrer toi-même que tu ne lui appartiens pas et que tu l’humilie en quelque sorte. A la différence de tant de prix elle ne rachète rien : elle est la démonstration pure du néant que nous fuyons, au moment où on devrait seulement l’ignorer. Un mort tranquille est une figure humaine beaucoup plus digne et noble qu’un tourmenté par les douleurs. Entre Périclès et Socrate il n’y a pas la différence entre deux conceptions, mais entre deux acceptions de la douleur, une brutale, l’autre au-delà de l’humain. Elle a aussi une noblesse la douleur : tu ne peux garder rancune à travers elle même pas à celui qui te l’a provoquée, car son inutilité est la sœur et la reine de l’absurde. Qui peut garder rancune à l’absurde, sauf les fous qui se le disputent ? Néanmoins il existe un sublime de la douleur, à celle qui est acceptée volontairement. Le sublime est en celui qui accepte, non pas dans l’objet accepté ; car j’ai oublié : la douleur est quand-même un nom commun ; malgré qu’elle est vivante, elle n’est qu’une parodie de la mort ; malgré qu’elle est tyrannique sa puissance est réduite à se dégrader elle-même. Lorsqu’un homme rugisse « j’ai mal », son imprécation ne s’adresse pas au ciel mais à tout ce qui est de plus vulgaire sur terre. Car si la souffrance pouvait connaître le ciel, elle aurait pu être l’équivalent de la divinité.

Il existe une joie dans la souffrance : on ne peut pas la transmettre même en rougissant, même en gémissant. Curieux : cette plante maladive ressemble uniquement à elle-même. Les joies sont communes, la douleur singulière, chassée de la cité, on dit qu’elle purifie ; peut-on nommer purification l’éloignement de la joie qui est en nous ? Ne la regardez pas : ne l’acceptez pas. Ennemi potentiel de chacun, elle n’est pas, hélas ! que l’impuissance de la chair de se sauver elle-même de la dégradation. Regardez Job : il a oublié la douleur tout comme un seul animal peut arriver à s’oublier soi-même : l’homme. Même pas l’ambition de nous dégrader n’est accordée à la douleur. Affligés, gémissez, rougissez, torturez-vous : vous allez démontrer ainsi que la voix est plus puissante que la torture, le verbe gardant les prérogatives de l’esprit, alors qu’à la douleur ne restent que les choses périssables de la chair. Et l’homme est esprit ou alors il n’est rien. Arriver à sa condition signifie connaître la suprême dignité qui nous sauve nous-mêmes.
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(traduction du roumain par André Pascal)
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