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Citations de Miron Radu Paraschivescu (17)


Miron Radu Paraschivescu
Oh comme je t'ai attendue...


Oh comme je t'ai attendue,
Comme je t'ai appelée, comme je t'ai guettée
Ainsi que les panthères je t’ai guettée, souple, tendu
Oh comme m’ont déchiré toutes les voix, tous les sons
Gutturaux, allemands
Et nulle part ta voix, ta voix jamais !
Je restais là comme un mendiant, sans bouger, les rumeurs, le vent,
Je restais là comme un mendiant, sans bouger
Et je leur disais à tous :
« La charité, l’aumône, s'il vous plaît, sa voix !
Ayez pitié de moi, pauvre esclave,
Ce que le cœur vous dira, madame, mademoiselle,
Vous, vous avez son pas
Vous, vous avez ses cuisses, vous avez son sourire, vous avez ses cheveux, sa démarche, vous avez ses tétons, vous avez son jarret, vous avez ses bras, vous avez sa bouche, vous avez ses fesses, vous avez ses doigts, vous avez ses ongles, vous avez ses yeux ! »
Ô ses yeux que j'ai épiés avec les mendiants au coin des rues
Attendant de les voir jeter les piécettes de leurs regards dans mes regards, tendus comme un chapeau, comme une sébile de clochard.

Ô ses yeux vainement
Elle n'est nulle part
Elle est partout, elle, mon aimée,
Et moi je reste là condamné au coin des rues
Et sur moi passent les tramways grondants, les voitures ronflantes,
Et tous et toutes m’écrasent,
Me vident, me déchirent,
Et mon sang empoisonné me gicle par la bouche, par les yeux et par les oreilles
Et s'écoule à l'égout.


De ma bouche le sang,
Comme l’eau d'une fontaine publique
S'écoule dans la bouche d'égout du bout de la rue.

Mon sang s'écoule comme les eaux ménagères,
Comme les larmes des mères et comme l’eau des pluies
Mon sang s'écoule par les rigoles des égouts,
Pour prolonger plus limpidement mes appels et mon poison,
Sous terre,
Sous les rues de la ville, par ses entrailles
Là où sont pourchassés les rats et où,
Comme en un autre Sébastopol
J'organise mes grandes casemates
Et mon invisible résistance
Permanente.

(traduction en français par Aurel George Boeșteanu)
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8 janvier 1941

Ce qui est extraordinaire dans la poésie, c'est son imprévu : on dirait un tremblement de terre ou une crise d'épilepsie. La condition révolutionnaire de la poésie ne se trouve-t-elle pas dans cet imprévu ?

(p. 60)
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Miron Radu Paraschivescu
Portrait d’une adolescente

Immaculée, vierge fragile,
Jumelle dirait-on d’un ange,
Cette beauté ne serait-elle
Qu’un bref caprice de matière ?
En quels joyaux se changera
Cet éclat pur et périssable ?

Or dans cet être inaccompli,
Soudain que de métamorphoses
Vont ouvrir pour le jour naissant
Leurs arcades parmi les lèvres
Les yeux, le nez tant d’arabesques !

Lys, orchidée : cette corolle
Hésite au fond de la chair lente,
Gerbe que lance quelque fleur
Comme une orgie, grâce de fée
Trop jeune, encore indifférente.

(Adaptation libre d’Alain Bosquet)
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5 mars 1941 (extrait)
Je sens s'accroître mon goût pour la déchéance, et j'y vois–je le comprends mieux aujourd'hui–l'ultime étape d'un certain niveau de la culture. C'est le livre de Matei Caragiale [Les Seigneurs du Vieux-Castel] qui a rallumé en moi cette conviction que d'autres lectures déjà avaient éveillée. Après "Les Enfants terribles" j'ai fini, hier soir, "Le Grand Meulnes". Arrivé aux dernières pages, je me demandais avec inquiétude où je pourrais encore trouver de tels livres. En fait, ce goût aigre-doux pour la période frêle et pourrie de l'adolescence doit me venir de plus loin, de ma propre adolescence, quand je suis tombé malade, pour m'effilocher entre quinze et vingt ans. C'est de cette époque-là que date mon penchant pour la poésie et pour la solitude, pour les amours qui finissent mal, pour la musique simple, gauche et nostalgique des premiers tangos. Il y a cependant quelque chose de réconfortant dans le livre d'Alain Fournier : son entêtement paysan à poursuivre le même fil, sans relâche.
(p. 70-71)
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Miron Radu Paraschivescu
Larmes

Si tu jaillis pour t’écraser sans cesse,
Entre les bords des paupières broyée,
De quel tréfonds ramène ta lumière
Son pur éclat, au diamant pareil ?

Espoirs perdus, jeux morts, ardeurs secrètes,
Désirs muets et paroles non dites,
Un seul instant vous brillerez à peine,
Silencieux, dans l’eau du rond cristal.

Oh clair cercueil ! Les cendres de maints rêves
Une larme les berce et se consume,
Le temps qui luit dans les sombres abîmes
Une étoile filante, ouvrant la chair.

Je ne vous aime pas, trop tendres perles
Dont nul sursaut n’a précédé la flamme ;
Mais je connais la joie unique et forte
De regarder le monde ayant pleuré.

(Traduction de Claude Sernet)
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Miron Radu Paraschivescu
Amer

Notre amour n’a pas bien marché.
Fou, très fou, il a titubé
Comme un printemps tout jeune encore,
Comme un muguet au vent trop fort,
Et puis il est mort à la fin,
Comme un sanglot que l’on retient.

Ah nous faisions avant cela
Tous les deux un beau tralala !
Quand le soleil tapait si fort
On eût cru le diable au corps !
Femme et putain, douceur de miel
Ah, ta bouche était tout mon ciel,
Ma canicule et ma rosée,
Mon enfer et ma reposée.
De ta bouche les mots tombaient
Comme un charme contre les maux.
Étoiles ou larmes des yeux
Pouvaient être aussi bien les deux.

Et voilà qu’un petit gandin
T’ensorcelle en un tournemain !
À moins que ce soit la folie
Qui ait mis en toi cette envie ?

Tu es partie et tout est mort.
Ah, pourquoi sonne-t-elle encor
L’horloge, alors qu’ici tout est
Comme si rien ne se passait ?

(Adaptation libre de Jean Rousselot)
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Le poète réitère chaque jour les jeux de l'enfant, et la condition première de la poésie est précisément d'être ludique. Mais le jeu doit être voulu. Au contraire de l'enfant qui n'a pas la vision de la continuité et situe son jeu hors du temps, moi je l'ai. Je vois mon jeu.

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Miron Radu Paraschivescu
Sur la douleur

(Văleni, le 2 février 1971)

Elle est impersonnelle et la plus personnelle des manifestations. Elle ne concerne pas l’esprit mais le corps. Comme toute absurdité corporelle, elle se croît éternelle et se manifeste en conséquence. Trouver ton sentiment d’éternité dans le douleur, quel triste destin pour un homme. Mais de le retrouver jusqu’à devenir son frère, jusqu’à l’attendre, à guetter l’heure de son arrivée, cela est la forme de la décadence. Seuls les moralistes sans but et sans compréhension peuvent condamner le suicidé de la douleur ; car se suicider signifie à te démontrer toi-même que tu ne lui appartiens pas et que tu l’humilie en quelque sorte. A la différence de tant de prix elle ne rachète rien : elle est la démonstration pure du néant que nous fuyons, au moment où on devrait seulement l’ignorer. Un mort tranquille est une figure humaine beaucoup plus digne et noble qu’un tourmenté par les douleurs. Entre Périclès et Socrate il n’y a pas la différence entre deux conceptions, mais entre deux acceptions de la douleur, une brutale, l’autre au-delà de l’humain. Elle a aussi une noblesse la douleur : tu ne peux garder rancune à travers elle même pas à celui qui te l’a provoquée, car son inutilité est la sœur et la reine de l’absurde. Qui peut garder rancune à l’absurde, sauf les fous qui se le disputent ? Néanmoins il existe un sublime de la douleur, à celle qui est acceptée volontairement. Le sublime est en celui qui accepte, non pas dans l’objet accepté ; car j’ai oublié : la douleur est quand-même un nom commun ; malgré qu’elle est vivante, elle n’est qu’une parodie de la mort ; malgré qu’elle est tyrannique sa puissance est réduite à se dégrader elle-même. Lorsqu’un homme rugisse « j’ai mal », son imprécation ne s’adresse pas au ciel mais à tout ce qui est de plus vulgaire sur terre. Car si la souffrance pouvait connaître le ciel, elle aurait pu être l’équivalent de la divinité.

Il existe une joie dans la souffrance : on ne peut pas la transmettre même en rougissant, même en gémissant. Curieux : cette plante maladive ressemble uniquement à elle-même. Les joies sont communes, la douleur singulière, chassée de la cité, on dit qu’elle purifie ; peut-on nommer purification l’éloignement de la joie qui est en nous ? Ne la regardez pas : ne l’acceptez pas. Ennemi potentiel de chacun, elle n’est pas, hélas ! que l’impuissance de la chair de se sauver elle-même de la dégradation. Regardez Job : il a oublié la douleur tout comme un seul animal peut arriver à s’oublier soi-même : l’homme. Même pas l’ambition de nous dégrader n’est accordée à la douleur. Affligés, gémissez, rougissez, torturez-vous : vous allez démontrer ainsi que la voix est plus puissante que la torture, le verbe gardant les prérogatives de l’esprit, alors qu’à la douleur ne restent que les choses périssables de la chair. Et l’homme est esprit ou alors il n’est rien. Arriver à sa condition signifie connaître la suprême dignité qui nous sauve nous-mêmes.
*
(traduction du roumain par André Pascal)
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Miron Radu Paraschivescu
LES POETES
 
Vous, gens qui vivez
Qui faites des maisons, des choses, des enfants,
Qui travaillez, négociez, vous vous disputez,
Aimez, détestez, chantez, vendez, achetez
 
Vous, les vrais gens
Qui faites le monde
Et pour qui il a même été notamment fait,
Vous-mêmes quand vous mourrez vous êtes vos égaux :
Vous vous murez les tombes qui vous vont bien,
A la taille de votre corps, votre vie, vos agissements
 
Vous ne risquez pas de mourir au hasard
Noyés, tombés dans les fossés, dans les ravins,
Broyés, fous, alcooliques, paralytiques, boiteux,
Une mort sans un corps entier
Comme une négation même de la mort
 
Vous faites le tout, d’un bout à l’autre,
Entier, robuste et complet,
Comme vos passions, comme vos sens, comme vos goûts
(Entiers) qui ne connaissent pas les demi-mesures
 
Vous, gens qui vivez vrai,
Vous n’avez même pas le temps de savoir que vous vivez
Et vous êtes morts pour de bon quand vous mourez
Vous vous plaisez bien dans votre tombe préparée à l’avance
Car tout s’est passé comme vous l’avez prévu.
 
Mais il y en a d’autres
Qui ne vivent pas des faits de la vie
Tout comme l’ombre ne vit pas d’elle-même
Mais de la lumière et de leur consistance.
Ils sont effectivement juste l’ombre, l’extension et l’écho
De vos actions.
 
Ceux-là sont les poètes.
Ils n’ont rien
Ils sont parce-que vous êtes
(Pas toujours derrière vous
Mais souvent devant, pour vous prédire
Tout comme des longues ombres au lever et coucher du soleil
marchent devant nos pas)
 
Ils sont le silence qui créé les sons,
Le mouvement qui rend la durée mesurable
 
Ils sont la négation
 
Ils ne sont pas, ils commencent à être
Juste à partir de l’endroit ou les choses commencent à finir
 
C’est pourquoi la mort n’existe pas pour eux
Comme l’obscurité n’existe pas pour l’ombre.
Ils meurent d’habitude sans tombes d’avance préparées
Et dans le néant de la mort ils ne sont
Que la révolte de la fleur sur le tombeau.
 
 
Ce poème fait partie du recueil intitulé Le Vers Libre (Editura Tineretului, Poèmes 1931-1964) et dont le mot d’introduction est le suivant : « Vous me trouvez retardé ? Je vous en prie, passez devant !… »
*
(traduit du roumain par Andrei PARASCHIVESCU)
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Miron Radu Paraschivescu
Septembre

Âme mienne, comment tu vas là,
Perdue dans ce monde bigarré ?
Laissant le soleil dans les denrées
L’été, un mât de feu, passa.

Une cigale crisse faiblement
Par le champ que j’ai traversé
Comme un mort qu’on a réveillé,
En tout j’m’égare, j’y suis pourtant.

Du vent du soir, ta voix portant
Je guette encore, toujours, l’idée ;
L’étoile brille dans la fumée
Des ces regrets, tardivement.

Tout choit plus bas et jusqu’à quand,
Resté seul, dans l’heure retardée,
Ne te vois plus, ne te connais
Par le temps que j’entends sonnant.

Oh, âme mienne, ressuscitant
Dans cette automne, lourde de pitance,
L’inextinguible ton enfance
La vois pousser en autre gent !
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Miron Radu Paraschivescu
LA BALLADE DES MALCHANCEUX
(projet)
– à la mémoire du poète Al. Tudor-Miu –
 
Si vous allez du Mizil à l’Arizona,
Du « rêve langoureux de Floride et des Antilles » au pays des Samoëns et des îles des pingouins, à l’Antarctique bâtie en féeriques blockhaus et diaphanes gratte-ciel de glace,
Des archipels volcan-atomiques du Japon, dont on dit toutefois qu’ils baignent dans l’eau de l’Océan Paisible,
Si vous allez jusqu’aux collines chargées de grains de raisin éclatant comme les gouttes de sang,
Du Rhin, de la Bourgogne, du Malaga et de la Champagne,
Si vous traversez la terre avec les moyens toujours plus perfectionnés de la technique moderne,
Avec des avions supersoniques ou des voitures aérodynamiques,
Avec des limousines bourdonnant comme une brise douce et engloutissant avec leurs gueules de baleine jusqu’à cent-vingt kilomètres à l’heure, comme si elles engloutissaient une simple sauterelle,
Ou si vous voyagez au dos des indolents chameaux, des calmes ânons qui ont porté Jésus aussi,
Ou des éléphants ridés comme l’écorce des arbres séculaires, comme autrefois Pyrrhus avait voyagé et encore aujourd’hui les maharadjahs,
Ou si vous vous contentez de voyager avec le métro moscovite, le trolleybus londonien, les trains aériens new-yorkais ou avec les nombreux tramways de Bucarest,
Ou si, récalcitrants à toute technicité, comme de modernes jeanjacquesrousseaux,
Vous vous contentez d’aller à cheval comme les habitants des Andes chiliens,
Ou en diligence, ou à pied comme les touristes alpinistes, ou en chariot, comme les paysans indiens et ceux qu’on voit dans les peintures,
Ou traînés en chariot par des hommes comme vous,
Si vous marchez dans les forêts vierges du Brésil, des lianes tropicales de l’Afrique Centrale, jusqu’au désert de Gobi ou jusqu’aux rochers étagés du Popocatépetl,
Certainement vous arrivera-t-il dans un tel voyage de ne pas trouver justement et immédiatement ce que vous avez désiré :
ici de ne pas trouver le silence absolu
là le vacarme que vous attendiez,
là le gel ou la chaleur,
là ni assez d’eau ni de feu,
ni de pain, ni de tomates ni de bananes,
ni les belles femmes que vous convoitez,
ni l’engagement au travail dont vous vous languissez,
ni le rêve que vous avez emporté.
 
Il arrive dans de tels voyages
De ne pas trouver tout ce qu’on imaginait au départ
Ou de trouver tout autre chose.
 
Ce que vous allez rencontrer toujours, n’importe où
A tout moment,
C’est la présence ubiquitaire, permanente, inéluctable,
Comme la lumière du soleil le jour, comme l’obscurité dans la nuit,
Comme votre propre corps
Même si (à cause d’un accident ou d’un involontaire héroïsme sur le front),
Il lui manque une main, un œil ou un pied,
Vous allez rencontrer partout comme votre propre être concret, corporel,
Vous allez certainement rencontrer, que vous marchiez n’importe où sur cette planète (même si les efforts fournis aux conférences, comités, sous-comités, conseils, entrevues, communiqués pour le désarmement réussissaient à donner des résultats),
Nos éternelles armées.
Toujours, n’importe où, quoi qu’il se passe,
Sur n’importe quel méridien ou parallèle,
A tout prix vous allez rencontrer
Les Malchanceux.
Ceux-ci ne sont pas une nation, une famille, une classe, une caste ou une race,
Ils sont une espèce existante dans toutes les lignées,
L’espèce des Malchanceux,
Ubiquistes et éternels, pas épisodiquement.
Ils sont malchanceux comme d’autres sont Profiteurs ;
Ils font partie de ceux qui donnent, qui font, qui pâtissent, qui endurent, qui ne vivent que pour donner, se dédier,
Par tout ce qu’ils ont et surtout par tout ce qu’ils n’ont pas
Par tout ce qu’ils n’ont pas eu, par tout ce qu’ils ont perdu, par tout ce qui leur reste.
Par tout ce qui ne leur reste pas, par tout ce qu’ils n’ont jamais eu que dans une infime mesure,
Ils arrachent et partagent encore une fois
D’après le principe de la scissiparité :
Leur chair blanche, rouge, noire, violacée, jaune, séchée, écartelée,
Ils arrachent encore et toujours un morceau
Qu’ils tendent à ceux qui passent,
à ceux qui viennent,
à ceux qui partent,
à ceux qui prennent.
Car les malchanceux appartiennent à la race de ceux qui donnent.
Et quand ils ne pleurent pas, et quand ils ne se plaignent pas,
Et quand ils passent fiers ou modestes,
Anonymes ou célèbres,
Ils sont toujours, à toute épreuve,
Parfaitement, minutieusement pondérés,
L’Union Internationale Permanente Active des Malchanceux.
(Bref : U.I.P.A.M.).
Il est certain que grâce à eux,
A leur éternelle présence tout au long et au travers de la terre,
Ressemblante au ciel, à l’eau, au feu et au vent,
Grâce à la présence permanente des Malchanceux,
La planète vole dans les abîmes,
Bouge, avance, tourne,
Progresse et ne s’arrête jamais.
Et c’est naturel puisque cette planète ronde tourne elle-même autour de son axe comme la boule du jeu de la roulette,
Il est naturel qu’il existe des gens qui perdent et d’autres qui gagnent à ce jeu,
Dans cette roulette cosmique qui ne connaît ni la malchance, ni la fortune.
Et il est certain que l’unique profit des Malchanceux c’est la conscience
Qu’il existe dans le monde ces deux irréductibles espèces,
Celle des Malchanceux
Et celle des Profiteurs.
Car c’est un héroïsme sublime et pathétique
Dans le combat qu’on mène pour devenir ou pour rester Malchanceux.
Pour choisir comme par un sas son destin.
Ce destin qui est toujours ce qui reste
Entre une aspiration et un combat.
Et non, comme on a longtemps pensé,
Un point de départ placé au commencement.
Et si toutes les autres
Planètes, plus petites, plus grandes ou plus hautes suivent leur chemin sur leurs orbites et leurs galaxies,
C’est sans doute grâce à la présence sur elles des Malchanceux
Qui continuent la lutte, en menant plus loin, ardemment,
Le jeu de la roulette cosmique,
En misant leur vie incessamment
Pour qu’ils la reprennent encore et encore dès le début.
Comme de vrais et infatigables dieux.
Faites, donc, vos jeux, mes amis !
Faites vos jeux plus fort
Contre la grande Profiteuse, Madame-la-Mort,
Jusqu’à ce que la boule soit partie !
N’ayez pas peur de perdre :
L’éternité se gagne uniquement au détriment de l’instant
Et pour que vous soyez tous victorieux,
Essayez, mes frères, d’être un peu Malchanceux.
Parce-que les Malchanceux sont une espèce
Internationale et interastrale
Plus permanente et plus éternelle que
Le Soleil et la Lune,
Bouddha, Brahma, Ammon, Yahvé ou Allah,
La corporation à laquelle sans doute appartiennent
Tous les anges et les prophètes vus et non-vus,
Maïakovski et d’autres comme lui,
Démiurges et héros immortels,
C’est grâce à leur volonté que la terre et le monde, dans leur cosmique anneau,
Iront toujours plus loin.
*
(traduit du roumain par Andrei PARASCHIVESCU)
 
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Miron Radu Paraschivescu
Attention, attention !…
journal, 27 décembre 1969
 
En ce début d’année
Des nuages menaçants semblent apparaître ;
Ces nuages sont composés de :
Têtes qui se permettent de penser et de
Bouches qui se permettent de parler et de
Consciences qui se permettent de se réveiller et des
Enfants qui se permettent de sauter sur une jambe.
Nous sommes tolérants
Nous comprenons que la marelle est
Un sport nécessaire pour la jeune génération
Nous comprenons que la liberté de la parole est
Un sport nécessaire à celui qui n’a rien de mieux à faire
Nous comprenons que le réveil de la conscience est
Un état grave d’insomnie,
Nous comprenons que la pensée qui germe dans certaines têtes
Est une explosion qui fait sauter en l’air les précédentes
Nous sommes très compréhensifs et très tolérants
Mais aussi très inquiets de ce qui menace d’arriver
Et pour cela
Notre Sanhédrin s’est rassemblé
Pour prendre des décisions importantes.
Il se passe des choses graves, très graves :
La liberté commence à être violée !
On ne peut plus zigouiller à volonté
On ne peut plus mettre en prison sans jugement
On ne peut plus circuler à droite et à gauche et au centre
Lorsqu’on on le souhaite et au-delà de la vitesse réglementaire
On ne peut plus ignorer la Constitution
(Comme si elle a été faite pour nous et non pas pour vous !)
Une situation insupportable
Commence à s’installer :
Ceux que nous pensions muets commencent à ouvrir la bouche
Ceux qui avaient le droit de se taire
Commencent à parler.
La situation devient de plus en plus grave
La liberté commence à être prise au sérieux
Lorsque nous avons compris par liberté
Ce que devrait comprendre toute créature muette :
C’est-à-dire un mot de grand jour,
De parade, d’habillage,
Et non pas un fait banal du jour le jour.
Les choses ne peuvent plus continuer comme ça !
Notre Sanhédrin doit se rassembler
En fait il s’est déjà rassemblé,
On avait trouvé jusqu’ici un triumvirat solide
Composé d’un poète, paysan de profession,
Qui porte avec fierté sur sa veste
Une médaille ronde en rouge et en or
Et qui en vertu du droit paysan inaliénable
De casser la baraque
Il a transformé la cocarde rouge-dorée en barre d’attelage
Et il est rentré avec dans le fossé en arrachant même la clôture
Nous espérons le secourir avec des tracteurs
Avant qu’il ne souffre d’une engelure.
C’est une voie entièrement intransigeante qu’il a choisi
Et où les seuls salauds
Sont ceux qui ne sont
Ni avec la cocarde ni avec la clôture mais uniquement avec le tracteur.
Ça ne fait rien ! L’effigie de la cocarde rouge-dorée
Du revers du poète paysan de profession
Et du paysan opportuniste de profession
Ne parlera pas, n’entendra pas…
Elle est une belle cocarde rouge-dorée,
Parfaite pour la parade,
Si parfaite que le mot : Liberté
Mais qui ne doit pas, mon Dieu, être prise
Pour une chose habituelle et de tous les jours ;
La cocarde est la cocarde
La parade est la parade
Et la liberté est, comme nous le savons, seulement celle des tyrans.
N’osez pas, vauriens,
Limiter la liberté des tyrans !
Cela signifierait de retourner aux époques terribles
De l’absolue tyrannie de la liberté.
Où est-ce qu’on serait alors ?
Où en seraient
Toutes non grandes conquêtes
Tous les étranglements de gorge et de bouche
Toute la victoire du crime, du mensonge, de nos canaux bouchés
Et des astuces de toute sorte,
Des microphones dans les murs et dans les téléphones ?
Toutes devraient être interdites !
Où est-ce qu’on serait ? Vous réalisez ! Quel retournement de valeurs !
Quel manque d’estime et de considération vis-à-vis des loups moralisateurs
A qui on interdirait justement maintenant, en plein hiver,
D’égorger les agneaux
(Car ils sont, eux aussi, des hommes !)
S’ils ne peuvent pas égorger des porcs
Pour faire des saucisses et du boudin.
Mais même les porcs sont indignés
De ce qui menace les pauvres loups !
Vous entendez : contester au loup
Le tranchant des dents et des griffes
Lui contester le droit du temps des ancêtres
De sauter sur ton dos
Et de te mordre la gorge !
Contester au loup le droit sacro-saint
De prêcher la morale !
Mais non ! Trop c’est trop !
Nous, qui sommes juste des petits louveteaux périphériques
(Oh ! Mais combien fidèles à la race des loups !)
Responsables – n’est-ce pas ? – dans le secteur des sous-loups
Et qui se contentent d’un petit poulet seulement
Disputé avec suffisamment d’amertume
A l’hypocrite et traître renard,
Nous qui, lorsqu’on se fait virer d’un emploi
Nous guettons l’occasion de montrer qu’une erreur a été commise
Lorsqu’on s’est fait virés,
Que nous sommes plus catholiques que le Pape
Qui nous a virés
Et des évêques qui nous ont défendu ?…
Que nous sommes les vrais défenseurs du loup
Et de sa férocité
Nous qui protestons contre les agneaux qui s’opposent aux loups
Nous prenons la parole dans le Sanhédrin et
Proclamons ouvertement :
Il est grand temps que la tyrannie des moutons cesse !
Il est grand temps que la liberté triomphe
Une fois pour toutes
Et dans ce but nous crions haut et fort
Et nous prétendons :
« Totale la liberté des tyrans ! »
Autrement, le nouvel an n’a plus aucun sens.
Nous préférons l’ancien.
 
 
Note : Ce poème a été écrit après le revirement du poète Mihai Beniuc (président de l’Union des Ecrivains de Roumanie en 1951) qui avait renoncé à promouvoir  son ouvrage de 1951, Chant pour le camarade Gheorghe Gheorghiu-Dej (président de la Roumanie de 1947 à 1965), en se réorientant et commençant à publier quelques poèmes pour le leader communiste de l’époque, Nicolae Ceauşescu (nommé président en 1965 juste après la mort de Gheorghe Gheorghiu-Dej).
*
(traduit du roumain par Andrei PARASCHIVESCU)
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Miron Radu Paraschivescu
Cantique de désir et soupir

Je chanterai toute une vie
à la porte de ma mie,
je chanterai comme un benêt
pour souffrir – et pleurnicher !

Car elle était belle ma gueuse
à lui biser la vareuse,
ses lèvres de giroflée,
j’les mordrais toute la journée !

Elle avait si fière allure
j’ai la panse qui me torture
quand je pense à sa figure.

M’a dit pour la courtiser
d’emprunter chez le banquier
et refaire mon dentier.

Moi j’n’ai pas serré les couilles
j’en ai aboulé d’l’oseille
et m’suis mis des dents dorés
comme tous les boyards friqués.

Robe en soie j’lui ai payé
babouches en velours rayé
en ville je l’ai promenée
que les gens puissent la mâter
parce qu’elle est ma bien aimée.

Car je l’aime sans répit
je n’arrête pas mon récit,
en enfer tant je suis cuit.

V’là ma tête pleine de bouse :
pour lâcher ma pauv’épouse
et m’enfuir avec une drôle
qui ne s’lave pas les guiboles
et me pique tout mon flouze.

Ce n’était pas la faute mienne,
que Dieu lui donne de la peine !
Dès que j’bougeais un chouïa,
fichtre ! elle me suivait au pas ;
j’voulais aller à la messe,
là, elle me bottait les fesses ;
j’la prenais sous les aisselles
sa bouche sentait les airelles.

Et pour me rendre barjot
elle portait un coquelicot.
Qu’il dise, qui l’a connue,
comme elle était bien foutue ;
car, le ciel la damnera,
minces sourcils elle dessinât,
aux alentours de ses nattes,
pourrissant mon esprit blette.

Que vous dire, jusqu’à la fin ?
J’la suivais, pas très malin
partout où elle se flagornait
d’être ma môme bien-aimée.

Pis elle la jouait amène,
rien que soupirs et haleine,
quand on froissait ses tiretaines.

Ah, que j’la verrais de glace,
car la flamme ne me passe !

J’la croyais mon entier lot ;
mais, cachée sous les rideaux
elle lorgnait les godelureaux …

Et un soir, de la terrasse,
j’vois un garde monté qui passe,
elle sort vite pas si dupe
et s’enfuit montant en croupe.

Depuis elle est en vadrouille
moi je suis resté bredouille,

tout seul, à mordre ma clope,

putain de merde de salope !
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Miron Radu Paraschivescu
Souvenir

Si j’oserais sous la rouille de tant d’années chercher
L’arôme et la lumière qu’avait brillé en elles,
Je retrouverais brûlant le mot pour t’honorer,
Pareil une flamme qui dort sous braise et étincelles.

Comme le parfum d’une fleur fanée depuis longtemps
Transforme dans une brise ses frêles colorations
Dans l’invisible corde du vent j’écoute tant
Crier leur longue lamente les équerres des hérons,

Là, quand avec les vêpres vers terre je me dérobe,
L’amour offert par toi de lui plus fort me lie,
Comme, dépouillée-en automne de sa touffue robe,
La statue de l’été s’élève vers l’infini.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Miron Radu Paraschivescu
Avant-propos

A coup sûr y’a un démon qui hante le corps mien
Perçant mon sens d’un pic bien aiguisé.
Me dit du mal de tout ce que je pensais être bien
Me pose des questions auxquelles je me tais;
Me plante dans l’âme, tel dans une pépinière,
Un plant du doute, issu de mon labour muet,
Pareil qu’une ombre qui croît de la lumière,
Pareil qu’une nouvelle force puisée dans l’arrêt.
Souvent, ce pic tout noir devant l’orage,
Le vois brillant sur l’horizon serein
Et le juron me semble un parler sage.
A coup sûr y’a un démon qui hante le corps mien.

*
Tocsin

Perdus visages, dans un épais crachin
Que la mémoire voit à travers les draperies
Alors elle me laisse comme un orphelin,
Se retrouvant en elles une autre vie.

Les spectres ravivés offrir je veux
A ceux qui vivent, mais la peur m’emporte
Que les bâtisses de brume briser je peux
Et un silence lourd ferme la porte.

Je ne suis qu’un tocsin silencieux,
Sur son airain le vent parfois se porte.
*

Le violon

Comme il gît dans son petit couffin, couché,
Le violon semble deux fois décédé.
Figé à mort, le tout fidèle archet
Se tait éternellement à ses côtés,
Lui qui allègrement touchait les cordes,
Là, aucune mélodie il ne porte,
Vous savez bien que un violon je suis
Qui joue pour ne pas mourir, mes amis.
*

Traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Miron Radu Paraschivescu
Une des chansons tziganes de Miron Radu Paraschivescu

Ma fleur grande, noire et mince
J’t’ai pas dit, môme, que je j’en pince ?
Cinq étoiles du ciel rafler
T’en faire perles et collier
Je me vantais que mézigue
Fera Dieu danser la gigue
S’il s’oppose et me fait digue ?
Ne m’disais tu, je le sais,
Quand l’échalis je sautais
Que pour l’amour de bibi
Tu t’pendrais à mon kiki ?
Puis surgit un … gigolo,
Oh, un drôle de gadjo
Du faubourg où de plus près
Il t’appela … tu t’en allais !
Encor je n’aurais râlé
Si tu n’m’avais chouravé
Ma bourse pleine de blé
Nous restions la nuit les deux
Amourette, amoureux …
La lune nous neigeait les cheveux
Pétasse, ce ne fut mesquin
Dans ma fouille mettre ta main
Comment puisses-tu accepter
Me tromper et me voler,
J’ai rétamé des chaudrons
Une année en grandes maisons
Je vécus dans le ghetto
De blanquette et de poireaux
Pour à toé, à toé, acheter
Une belle robe de mariée
Que je te fleurisse le doigt
D’une grosse pierre de grenat
Et toi, vois comme tu le tiens
Ton promis contre le mien,
Ben, ma pauvre, c’est très bien !
Qu’elle me trompe … une pétasse !
Moi encore, je fus naze,
J’aurais pu me débrouiller
Etre un mec plus fortuné
Comme un pacha me vautrer !
Mais, à l’heure, je bois la tasse,
Tout amer et plein de crasse
Comme les plus grands des connards
Pas de môme, et … pas du lard !

*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
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Miron Radu Paraschivescu
Equinoxe

Fidèle je t’attendis. Car ta venue
La devinais par galaxies et nues.
Il est pour moi, ton corps, qu’en moi résonne
Comme un violon dans l’âme qui la chante,
La lumière s’échappe, qu’elle nous cautionne
Le vent nous enveloppe comme des plantes
Et chassera d’entre nous les sérénités.
Le corps nous est unique et partagé
Factice, entre les deux entités.

Passa l’instant quand nous nous sommes sentis
Comme les appels qui vers les sources montaient
Qui ce jour coulent – fleuve unique et uni.
Toi, à ma bouche t’es bouche, et t’es rosée,
Par mes yeux vois le ciel de chicorée
Les paumes ont leur place définie
Depuis un temps : les tiennes sur mon épaule
La mienne, en coupe sur ton sein si rond,
Et l’autre ceint tes hanches si sereines.
Par toi commence, finit, un cours d’école.

Dans tes cheveux je plonge comme dans les ondes,
Nous fûmes coulés dans un pareil airain
Et quand d’une même étreinte nous nous touchons
Un identique son nos êtres couvent.
Car nous venons les deux des mêmes lointains :
Brisées maintenant, en nous qui se retrouvent
A eux, les mêmes aubes nous projetons.

Greffon nous sommes, l’un pour l’autre ici,
Ensuite la même veille nous a grandi
Unissant la même glaise, le même ciel
En deux souplesses, pousses verticales.
Ni le sourire, ni le mot, ne sont seuls :
Ton rêve me dis, moi à ta tristesse banale
Souris et ris : les âges nous repartirent
Mais aujourd’hui, ciel, terre, feu et liquide
Appartiendront à un vaste empire
Unique. C’est pour ça qu’à l’empyrée
Quand tu regardes, mon regard boit avide
Au ventre de la terre endommagée
Que je laboure en toi et en creusant
Et un volcan nous secoue en avant
Pour s’envoler de ce présent mourant
Vers un tout jeune astre, qui nous pressent.
*

traduit du roumain par Cindrel Lupe
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