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Citation de melouka


A peine s'emboîtèrent-ils dans leurs pupitres que le maître, d'une voix claironnante, annonça:
- Morale !
Leçon de morale. Omar en profiterait pour mastiquer le pain qui était dans sa poche et qu'il n'avait pas pu donner à Veste-de-Kaki.
Le maître fit quelques pas entre les tables , le bruissement sourd des semelles sur le parquet, les coups de pied donnés aux bancs, les appels, les rires, les chuchotements s'évanouirent L'accalmie envahit la salle de classe comme par enchantement : s'abstenant de respirer, les élèves se métamorphosaient en merveilleux santons. Mais en dépit de leur immobilité et de leur application, il flottait une joie légère, aérienne, dansante comme une lumière.
M Hassan, satisfait, marcha jusqu'à son bureau, où il feuilleta un gros cahier. Il proclama - La Patrie.
L'indifférence accueillit cette nouvelle. On ne comprit pas. Le mot, campé en l'air, se balançait - Qui d'entre vous sait ce que veut dire Patrie ?
Quelques remous troublèrent le calme de la classe. La baguette claqua sur un des pupitres, ramenant l'ordre Les élèves cherchèrent autour d'eux, leurs regards se promenèrent entre les tables, sur les murs, à travers les fenêtres, au plafond, sur la figure du maître ; il apparut avec évidence qu'elle n'était pas là. Patrie n'était pas dans la classe. Les élèves se dévisagèrent Certains se plaçaient hors du débat et patientaient benoîtement.
Brahim Bali pointa le doigt en l'air. Tiens, celui-là ! Il savait donc ? Bien sûr Il redoublait, il était au courant.
- La France est notre mère Patrie, ânonna Brahim. Son ton nasillard était celui que prenait tout élève pendant la lecture. Entendant cela, tous firent claquer leurs doigts, tous voulaient parler maintenant. Sans permission, ils répétèrent à l'envi la même phrase.
Les lèvres serrées, Omar pétrissait une petite boule de pain dans sa bouche. La France, capitale Paris. Il savait ça. Les Français qu'on aperçoit en ville, viennent de ce pays.Pour y aller ou en revenir, il faut traverser la mer, prendre le bateau… La mer : la mer Méditerranée. Jamais vu la mer, ni un bateau. Mais il sait : une très grande étendue d'eau salée et une sorte de planche flottante. La France, un dessin en plusieurs couleurs. Comment ce pays si lointain est-il sa mère ? Sa mère est à la maison, c'est Aïni , il n'en a pas deux. Aini n'est pas la France. Rien de commun. Omar venait de surprendre un mensonge. Patrie ou pas patrie, la France n'était pas sa mère.
Les élèves entre eux disaient: celui qui sait le mieux mentir, le mieux arranger son mensonge, est le meilleur de la classe.
Omar pensait au goût du pain dans sa bouche : le maître, près de lui, réimposait l'ordre. Une perpétuelle lutte soulevait la force animée et liquide de l'enfance contre la force statique et rectiligne de la discipline.
M. Hassan ouvrit la leçon.
- La patrie est la terre des pères. Le pays où l'on est fixé depuis plusieurs générations.
Il s'étendit là-dessus, développa, expliqua. Les enfants, dont les velléités d'agitation avaient été fortement endiguées, enregistraient.
- La patrie n'est pas seulement le sol sur lequel on vit, mais aussi l'ensemble de ses habitants et tout ce qui s'y trouve.
Impossible de penser tout le temps au pain. Omar laisserait sa part de demain à Veste-de-Kaki. Veste-de-Kaki était-il compris dans la patrie ? Puisque le maître disait… Ce serait quand même drôle que Veste de Kaki… Et sa mère, et Aouicha et Mériem, et les habitants de Dar-Sbitar? Comptaient-ils tous dans la patrie ? Hamid Saraj aussi ?
- Quand de l'extérieur viennent des étrangers qui prétendent être les maîtres, la patrie est en danger. Ces étrangers sont des ennemis contre lesquels toute la population doit défendre la patrie menacée. Il est alors question de guerre. Les habitants doivent défendre la patrie au prix de leur existence.
Quel était son pays ? Omar eût aimé que le maître le dit, pour savoir. Où étaient ces méchants qui se déclaraient les maîtres ? Quels étaient les ennemis de son pays, de sa patrie ? Omar n'osait pas ouvrir la bouche pour poser ces questions à cause du goût du pain
- Ceux qui aiment particulièrement leur patrie et agissent pour son bien, dans son intérêt, s'appellent des patriotes.
La voix du maître prenait des accents solennels qui faisaient résonner la salle. Il allait et venait.
M Hassan était-il patriote ? Hamid Saraj était-il patriote aussi ?
Comment se pourrait-il qu'ils le fussent tous les deux 7 Le maître était pour ainsi dire un notable , Hamid Saraj, un homme que la police recherchait souvent. Des deux, qui est le patriote alors ? La question restait en suspens.
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