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Mohammed Dib est sans doute le plus grand écrivain algérien d'expression française. Mais connaissez-vous son grand roman ?
« La danse du roi », de Mohammed Dib, c'est à lire en poche chez Points.
(...) l'homme vit sur terre pour une tâche déterminée, chacun de nous a un devoir à remplir. En conséquence, un simple journalier est aussi utile dans sa place qu'un... roi à la tête d'une nation. Je dirai même plus utile. Il ne mange que du pain sec, mais il le gagne. Et si, de plus, il éprouve de l'intérêt pour son travail, c'est un homme sauvé. Disons plutôt pour éviter les grandes phrases : c'est un homme heureux... Enfin, à sa manière. Oui, heureux à sa manière, car il doit lui manquer beaucoup de choses. Cependant il a l'essentiel; s'il ne mange que du pain trempé dans de l'eau, il a son travail, et même davantage : l'attachement à son travail. Et ça, c'est une réalité.
Nous avons conscience du silence. Nous ne l'avons pas entendu tout de suite, ne nous rendant compte d'abord que d'un faux silence, de quelque chose comme l'envers d'un grondement, mais déjà de si étranger à tout ce que nous connaissons, à tout ce que nous avons appris à écouter et à apprécier que nous restons longtemps, passons un moment avant d'y prêter attention. Puis il a dressé autour de nous sa présence péremptoire.
Nous pouvons l'entendre maintenant. Nous l'écoutons tous.
"Omar avait fini par confondre Dar-Sbitar avec une prison. Mais qu'avait-il besoin d'aller chercher si loin? La liberté n'est-elle pas dans chacun de ses actes? Il refusait de recevoir de la main des voisins l'aumône d'un morceau de pain, il était libre".

À Dar-Sbitar s'élevaient encore les protestations véhémentes du vieux Ben Sari ; mais les forces de l'ordre étaient parties.
- ... Je ne veux pas me soumettre à la Justice, clamait-il. Ce qu'ils appellent la justice n'est que leur justice. Elle est faite uniquement pour les protéger, pour garantir leur pouvoir sur nous, pour nous réduire et nous mater. Aux yeux d'une telle justice, je suis toujours coupable. Elle m'a condamné avant même que je sois né. Elle nous condamne sans avoir besoin de notre culpabilité. Cette justice est faite contre nous, parce qu'elle n'est pas celle de tous les hommes. Je ne veux pas me soumettre à elle... Aïe, cette colère, on ne l'oubliera pas! Ni la prison où des ennemis enferment nos hommes. Des larmes, des larmes et la colère, crient contre votre justice... elles en auront bientôt raison, elles sauront bientôt en triompher. Je le proclame pour tous : qu'on en finisse! Ces larmes pèsent lourd et c'est notre droit de crier pour tous les sourds... s'il en reste dans le pays... s'il y en a qui n'ont pas encore compris. Vous avez compris, vous. Allons, qu'avez-vous à répondre? ...
- Où allons-nous?
- L'essentiel est que nous y allions ensemble.
On pensait : c'en est fini du froid ; puis l'hiver faisait un brusque retour sur la ville et incisait l'air avec des millions d'arêtes tranchantes.
- Je veux [que les hommes] apprennent à ne vouloir qu'un seul bonheur : la liberté.
- Il y a le bonheur de vivre... Revivre... Tout simplement.
- Tu divagues!
- Tous les hommes pourtant désirent ce bonheur.
- Il n'y a pas d'âme dans tout ça! Ce qu'il faut, c'est réapprendre à se sentir libre. Et la soif de vivre renaitra.
- Il faut ouvrir les yeux et voir...
Hamedouch éclata de rire.
- Le monde est dur, dit-il en frappant du poing contre le mur. Tous ceux qui aspirent à des idées élevées, généreuses, s'y briseront. Ne soyons pas surpris si l'épuisement avant de commencer la lutte se montre chez nous...
Ses paroles perçaient le coeur d'Omar.
- N'oublie pas que nos frères ont le don de s'accoutumer à tout, que leurs misères ne les touche même plus!

Ce n'est qu'une femelle. Hon ! Et encore une fille vaut mieux que lui. Tout le temps fourré à la maison. Ma pauvre Aïni ! Tu es la proie de ces enfants sans cœur qui te sucent les sangs. Avec eux, tu n'arriveras à rien.
- Je vais à l'école, moi, intervint Omar, sans considération pour les paroles de sa tante. Et j'apprends des choses. Je veux m'instruire. Quand je serai grand, je gagnerai beaucoup d'argent.
- Renonce à tes idées, dit Lalla avec humeur. Il te faudra travailler comme une bête si tu veux seulement vivre. Ceux qui n'ont pas mis les pieds dans une école meurent de faim ? L'instruction, ce n'est pas pour toi, ver de terre. Qu'est ce que tu crois pour prétendre à l'instruction ? Un pou qui veut s'élever au-dessus de sa condition. Tais-toi, graine d'ivrogne. Tu n'es que poussière, qu'ordure qui colle aux semelles des gens de bien. Et ton père, lui, a-t-il été à l'école ? Et ton grand-père, et tes aïeux ? Et toute ta famille, et tous ceux que nous connaissons ? Tu auras à être un homme, ou tu seras écrasé. Il te faudra supporter la dureté des autres, être prêt à rendre dureté pour dureté. N'espère pas le bonheur. Qui es-tu, qui es-tu, pour espérer le bonheur ? N'espère pas vivre tranquille, n'espère pas.
L'amour ne vous rapproche-t-il que d'une illusion quand il vous libère de vous-même [...].
Avez-vous constaté comme à certains moments nous mourons d'envie de marquer notre reconnaissance à autrui, à cause d'une joie qui nous fait le coeur léger comme une bulle?