Je sens une main sur ma joue. Elle est douce. Elle sent bon. Y a que maman qui sent bon comme ça. Sa voix chuchote dans mon oreille. « Mon ange, il est merveilleux ton dessin. Merci. Je t’aime. » Je m’endors. Je rêve que je vole jusqu’à New York pour sauver ma maman d’un monstre affreux et sanguinaire.
Les premières notes de Someday my prince will come la réconforte. Elle a besoin de Miles pour la bercer dans le sommeil. Dans six heures, elle se réveillera en vue des côtes françaises. Mais, il lui est impossible de dormir. Elle est éreintée. Elle se sent à l’étroit. Se parler à elle-même l’emprisonne. Dans son esprit valsent les mots obligation, convention, condition, créance, causes objectives, subjectives, exonératoires… Les semaines sans dimanche et les long-courriers, elle connaît. Trop bien. La monotonie ne fait pas partie de son quotidien.
Je suis une femme qui a pour religion son travail et pour passion réussir. Une femme qui aime follement son fils et qui, sincèrement, ne veut pas l’éduquer. Ce n’est pas mon métier. Suis-je en manque d’instinct maternel ? David aurait adoré être enceinte à ma place ! Avec joie, je lui aurais cédé l’inconfort de la grossesse. Pendant neuf mois, ses yeux envieux contemplaient mon ventre, ses mains ne pouvaient s’empêcher de le caresser, sa bouche de l’embrasser.
Il le sait: l’amour conjugal est un défi ; ailleurs, l’herbe n’est pas plus verte ; la vie n’est pas rose tous les jours… Il sait qu’il n’a pas à se plaindre. Il a conscience d’avoir une existence enviable et confortable, grâce à sa femme. Il dirige de chez lui la collection de livres d’art qu’il a créé voilà dix ans pour être disponible pour son fils.
Il est imbattable sur l’entretien au naturel, ne jure que par les pouvoirs nettoyants du savon de Marseille et du bicarbonate de soude. Il a banni les produits « micropolluants » de leur intérieur. Giulia préférait le bon temps des détergents, désinfectants et autres détartrants aux fragrances chimiques toxiques.
Je crois que je suis amoureux. C’est quoi être amoureux ? Papa dit, « c’est quand tu as toujours envie d’être avec elle, que tu souris tout le temps, que dès que tu l’aperçois la vie est plus belle. » Il s’y connaît ! C’est l’amoureux de maman. Il lui tient beaucoup la main. Donc, je suis amoureux !
Giulia, à peine débarquée, après plus de quinze jours d’absence, doit repartir pour une urgence de travail. Trop c’est trop. Il explose. Elle est narcissique, froide et distante. Il pense à ses matins solitaires, il songe à ses nuits désertiques.
Elle nous dit qu’elle est épuisée et qu’elle a besoin de silence. Elle dit « je suis lasse ». Lasse, drôle de mot. Je sais pas comment ça s’écrit. Elle ferme les yeux. On n’ose ni parler ni faire de bruit.
Papa, il a toujours du temps pour répondre à toutes mes questions. Il est jamais fatigué de m’expliquer comment les nuages fabriquent la pluie et pourquoi les abeilles sont nécessaires pour la planète.
C’est bon d’être aimé, de le dévorer de baisers, de plonger le nez dans son odeur de lait et de miel. Mon cœur déborde d’amour fondant même si ce matin, sans répit, il me tourmente.