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Citation de Charybde2


Ti-Jeanne voyait au-delà des apparences. Parfois, elle pressentait comment quelqu’un allait mourir. Quand elle fermait les yeux, elle se rappelait les comptines que sa grand-mère lui chantait. Des images dansaient sur l’air de ces chansons : le corps de celui-ci tressautait sous une rafale de feu et de sang ; celui-là se tordait alors que des crampes d’estomac réduisaient ses intestins en bouillie. Ces morts étaient toujours violentes. Ti-Jeanne détestait ces visions.
Au rythme des balancements du cyclo-pousse, elle tenait Bébé, entourant sa petite tête d’une main pour la protéger des soubresauts. Indifférent au mouvement cahotant du cyclo-pousse, Bébé essayait de sucer son pouce. Ti-Jeanne retint sa main pour y glisser une petite mitaine bleue.
– La rue Sherbourne, au coin de Carlton, dit-elle au conducteur.
– Pas de problème, madame, répondit-il d’un ton essoufflé. Vous ne pensez pas que je me dirigerais vers Feu, quand même !
Le cyclo-pousse atteignit l’intersection des rues Sherbourne et Carlton en peu de temps. Ti-Jeanne descendit, prit le bébé et le paquet sous son bras, et paya la course. Elle ferait le reste de la route à pied, en direction de la cour des baumes de la vieille ferme Riverdale dans laquelle sa grand-mère avait emménagé.
Le conducteur s’en alla rapidement, sans attendre d’autres clients. Poltron, se dit Ti-Jeanne tout bas. On était en sécurité tout de même, de ce côté-ci de Feu. Les trois pasteurs des églises coréenne, unie et catholique qui encerclaient le coin s’étaient entendus pour prendre le contrôle de la plupart des édifices depuis ce carrefour jusqu’à l’ouest de la rue Ontario. Ils s’occupaient des gens de la rue avec fermeté, protégeant leurs ouailles et leur territoire avec des battes de base-ball si nécessaire.
Ti-Jeanne frissonna dans l’air frais d’octobre et hissa Bébé plus haut sur sa hanche. Le paquet qu’elle transportait contenait quatre livres rongés par les vers et retenus par un lacet. Sa grand-mère serait contente d’apprendre ce qu’elle avait eu en échange de l’onguent contre l’eczéma. Lorsqu’elle s’était présentée pour livrer le médicament, elle avait trouvé M. Reed, qui s’était institué bibliothécaire de la ville, juché au dernier échelon d’un escabeau dans le vestibule de la vieille bibliothèque Parkdale. Il collait des découpures de journaux sur le tableau d’affichage.
– Hé, Ti-Jeanne, que penses-tu de mon étalage ?
Il était descendu de son escabeau et le déplaça pour qu’elle puisse mieux voir son oeuvre. Au haut du tableau elle lut un message écrit à la main : « Toronto ou la création d’un trou de beigne. »
Il avait découpé des manchettes de journaux datant de douze, treize ans, et les avait collées par ordre chronologique.
– Que voulez-vous dire par « trou de beigne » ? lui demanda Ti-Jeanne.
– C’est ce que l’on dit lorsqu’un centre-ville s’effondre et que les gens s’enfuient vers les banlieues, répondit-il. Juste un petit peu d’histoire. Vous aimez ça ? […]
« C’est bien », dit Ti-Jeanne avec hésitation, ne sachant pas trop quoi dire à l’homme. Tout cela était une vieille histoire. Qui s’en préoccupait encore ? Elle lui avait donné son médicament. En retour, il avait farfouillé dans ses tas de livres et déniché une encyclopédie de symptômes médicaux, deux livres de jardinage, et là… la trouvaille : Les Plantes sauvages des Caraïbes et leurs usages.
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