Dans ce que je lisais à l'époque, il y avait des notes sur la jeunesse d'un écrivain. Leur auteur, Drieu la Rochelle, confessait : "Nous n'avions pas de but, nous n'avions que notre jeunesse." Cet énoncé m'a paru très français, léger et frivole dans son romantisme. C'était le contraire de nous qui avions un seul but : impressionner, étonner, voire stupéfier notre maître, écrire quelque chose qui serait remarqué par lui, une scène, un dialogue, une nouvelle qui le surprendrait, l'emporterait, grâce à quoi il nous considérerait comme uniques et irremplaçables. Chacun de nous percevait les limites temporelles de cette vie exaltée et excessive, et appréhendait le moment où nous arriverions à la fin de nos études, ou nous nous séparerions de lui.
Nous écrivons furieusement, désespérément, comme si notre existence dépendait de chaque texte que nous présentons à notre maître qui en demande toujours plus.
Comment faire pour soutenir l'effort intellectuel et physique que nous devons fournir ? Est-il possible de satisfaire tous les professeurs sans y laisser des plumes ou sans nous doper ?
La journée à l'école commence à huit heures du matin par des cours ou des projections et se poursuit jusqu'à (souvent) minuit. Et il y a très peu de nuits ou nous dormons parce qu'il faut écrire, fournir à nos professeurs les exercices demandés.
Dès le matin, nous devons assister aux séminaires de notre maître et d'autres professeurs de dramaturgie, aux cours d’architecture, d'histoire du théâtre, d'histoire des arts, d'histoire du cinéma et du cinéma contemporain - ces deux derniers cours sont toujours accompagnés d'une projection d'un ou deux films ; dans le cas des cours de cinéma contemporain, les films sont prêtés par des distributeurs européens, arrivent et repartent en avion aussitôt après la projection.
Aussi étrange que cela puisse paraître, cette découverte des premiers vers de notre maître, nous l'avons escamoté aussitôt sortis du Café Slavia.
Personne ne voulait accepter que l'auteur de ces vers naïfs qui servaient le régime pouvait être notre maître, beau frondeur spirituel et ironique, qui n'avait de cesse de ridiculiser ceux qui écrivaient à la gloire du régime.