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Citation de Charybde2


« Quelque chose veut te manger, lança Presque-Brillante, perchée sur un arbre voisin. Je ne lui en voudrai pas s’il y parvient. »
Un tintement. Chih se remit debout et examina soigneusement le cordon de clochettes qui entourait le bivouac. Un instant, elle se crut de retour à l’abbaye des Collines-Chantantes, en retard pour une nouvelle tournée de prières, de corvées et de leçons, mais les Collines- Chantantes n’étaient ordinairement pas baignées d’une odeur de fantôme et de pin humide. On n’y sentait pas se dresser les poils de ses bras en signe d’alarme ni bondir son cœur dans sa poitrine sous l’effet de la panique.
Les clochettes étaient de nouveau immobiles.
« J’ignore ce que c’était, mais le danger est passé. Tu peux redescendre. »
La huppe poussa un gazouillis, qui parvint à exprimer en deux notes tant le doute que l’exaspération. Néanmoins, elle se posa sur la tête de Chih, où elle se balança, mal à l’aise.
« Les protections doivent toujours être en place. Nous sommes très près du lac Écarlate à présent.
— Nous ne serions jamais arrivés si loin si on ne les avait pas neutralisées. »
Chih y réfléchit un instant, puis enfila ses sandales et se glissa sous le cordon de clochettes.
Effarouchée, Presque-Brillante s’envola dans un tourbillon de plumes avant de redescendre sur l’épaule de l’être humain.
« Adelphe Chih, regagne tout de suite le campement ! Tu vas te faire tuer et je serai obligée de rendre compte à notre Céleste de ton irresponsabilité.
— Je compte sur la précision de ton rapport, rétorqua Chih d’un air absent. Maintenant, chut ! Je crois distinguer ce qui a fait ce raffut. »
La huppe exprima son mécontentement d’un battement d’ailes mais enfonça plus fermement ses griffes dans l’habit de Chih. En dépit de sa bravade, celle-ci se sentit réconfortée par la présence de la neixin sur son épaule et elle leva la main pour lui caresser doucement la crête avant de s’avancer entre les pins.
Aucun chemin ne s’y dessinait, c’était certain. Les deux voyageurs avaient traversé le bosquet de pins blancs un peu plus tôt dans la journée et, si on distinguait encore les traces d’une ancienne route sous les fougères envahissantes et les branches mortes, jamais une charrette n’aurait pu s’y frayer un passage. Chih la soupçonnait d’avoir jadis relié le lac Écarlate à la voie royale, avant que l’on n’eût effacé le lac de toutes les cartes et qu’un sorcier impérial aussi dévoué qu’habile ne l’eût effectivement fait disparaître.
Aucun chemin ne se dessinait donc là dans la journée. La nuit, bien entendu, c’était différent. La route fendait la futaie, aussi large qu’une barge, bordée de part et d’autre par des fantômes évanescents, les anciens gardiens du lac. Il y avait à peine quelques mois, ils se seraient rués sur tout être vivant qui eût croisé leur chemin et l’auraient mis en pièces avant de sangloter parce qu’ils avaient encore faim.
À cet instant, cependant, ils n’avaient d’yeux que pour le palanquin venu du levant – la direction du lac Écarlate – sur la route fantôme. Il était porté par six hommes voilés, dont les pieds ne touchaient pas tout à fait le sol. Il paraissait argenté au clair de lune, mais Chih le devinait drapé de rouge et d’or, ses rideaux brodés avec une minutie somptueuse du mammouth et du lion de l’empire.
Une seule femme au monde avait le droit d’arborer ces deux animaux, et elle était sur le point de se faire couronner lors de sa première cérémonie du dragon à la capitale.
Enfin, se dit Chih en enveloppant Presque-Brillante de sa main pour la rasséréner, une seule femme en vie. Il s’inclina aussi bas que les fantômes alentour au passage du palanquin en espérant de toute son âme que l’impératrice entrouvrirait les rideaux pour révéler son visage. S’agirait-il de la vieillarde ridée emmaillotée de soieries épaisses qu’elle avait un jour aperçue, enfant, à Houksen, ou serait-ce une femme beaucoup plus jeune, l’impératrice du Sel et de la Fortune telle qu’elle était arrivée en Anh avant la fin de l’éternel été, avant que le mammouth n’eût piétiné le lion ?
Quand Chih se redressa, fantômes, route et impératrice avaient disparu, ne laissant derrière eux que son cœur battant.
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