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Citations de Nicolas Bourguinat (3)


La guerre de 1870 est à la fois la conclusion de l’unification allemande et la fin d’une phase de l’histoire de France, celle du régime impérial créé en 1852. Guillaume Ier n’est-il pas proclamé empereur au château de Versailles, le 18 janvier 1871, avant même que la France ait formellement capitulé ? Napoléon III n’est-il pas sorti de l’Histoire, après avoir été fait prisonnier à Sedan, tandis que le bonapartisme était balayé à Paris et cédait la place à la République du 4 septembre ? Aussi apparaît-il manifeste à tous les commentateurs, depuis les contemporains du conflit jusqu’aux historiens d’aujourd’hui, que la guerre de 1870 doit être replacée à la fois dans la longue durée de l’histoire des rapports franco-allemands et dans la moyenne durée de l’histoire de la politique étrangère du Second Empire. Depuis la publication des documents diplomatiques français au début du XXe siècle jusqu’aux études conduites à l’époque du centenaire de la guerre, a longtemps eu cours une vulgate, plus ou moins bien assimilée, déclinable en trois temps : 1/ Bismarck avait besoin d’un conflit armé pour entraîner l’Allemagne du Sud derrière la Prusse et ses satellites afin de parachever la construction politique de l’Allemagne unifiée ; 2/ Bismarck a attiré la France dans un piège, à partir d’un différend portant sur la succession au trône d’Espagne (à travers la candidature d’un prince apparenté à la maison des Hohenzollern, qui menaçait en quelque sorte de reconstituer autour de la France l’ancien empire de Charles Quint) ; 3/ la France est tombée les yeux fermés dans ce piège, entraînée sans doute par une opinion publique en effervescence, et convaincue de sa supériorité militaire. Tout cela, c’est l’histoire de la crise diplomatique de l’été 1870, qui allait se conclure par la provocation adressée aux Français, la fameuse « dépêche d’Ems » : une histoire étayée par le témoignage de deux des principaux acteurs, le chancelier Otto von Bismarck lui-même dans ses Mémoires, et le chef du gouvernement français Émile Ollivier dans le long plaidoyer qui l’occupa pendant les vingt dernières années de sa vie, L’Empire libéral. Une fois le texte de cette dépêche transmis à la presse, et adressé à toutes les représentations prussiennes à l’étranger, l’effet fut celui d’un « chiffon rouge » agité sous le nez du « taureau gaulois », explique Bismarck. « Organisant cette trame [de la candidature Hohenzollern] parce que c’est le seul moyen dont il a besoin pour créer l’unité de sa patrie, Bismarck est […] un Satan beau à contempler, […] un puissant homme d’État, d’une grandeur sinistre », affirme Ollivier. Qu’en a-t-il été exactement ?
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Estimant qu’il y a offense, le gouvernement décide de hâter la convocation des réservistes, avant de se tempérer une fois qu’il a reçu des informations plus précises de la part de Benedetti. Les positions évoluent alors vers l’organisation d’un congrès international capable de traiter l’ensemble des questions « en litige ». Napoléon III semble y croire. En Europe, on veut y croire également et nombreux sont les journaux qui appellent à la réunion d’une telle assemblée. Mais le soir, à Saint-Cloud, les lignes bougent de nouveau. Contre tous les usages, l’impératrice est présente, bien que son rôle exact dans les discussions reste sujet à controverse. Très remonté, le ministre de la Guerre Le Bœuf indique que s’il doit retirer l’ordre de mobiliser les réservistes, il donnera sa démission. Gramont explique que la dépêche d’Ems, à présent qu’elle atteint toutes les chancelleries par le canal diplomatique, constitue un camouflet que l’on ne peut laisser passer sans être accusé de lâcheté. Cela semble avoir été suffisant pour faire écarter l’idée d’un congrès
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Voici une nouvelle et importante contribution à l’effort actuel tendant à réintroduire l’État et les élites culturelles comme acteurs essentiels de l’histoire économique et sociale.

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Cette étude des émeutes frumentaires en France dans la première moitié du XIXe siècle se focalise en effet sur l’État plutôt que sur les manifestants ou leurs cibles. Et l’auteur ne se contente pas d’examiner le contexte dans lequel l’ère napoléonienne, la Restauration puis la Monarchie de Juillet déployèrent et appliquèrent leurs politiques économiques et sociales; il se penche également sur la façon dont les enquêtes, les efforts de classification sociale, et les activités d’administration et de police de chaque gouvernement contribuèrent activement à modeler les nouvelles identités sociales post-révolutionnaires.

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Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, chaque régime politique interpréta à sa manière la loi du 21 prairial an V (9 juin 1797) qui établissait la liberté du commerce des grains. Les pouvoirs publics oscillèrent constamment entre économie de marché et économie dirigée (« une liberté aménagée »). Confrontés lors des crises de subsistance aux protestations des consommateurs les plus vulnérables, les gouvernants, et en particuliers les autorités locales, acceptaient comme allant de soi un certain degré de désordre, perçu comme le « miroir » quasi légitime de la responsabilité publique.

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Ainsi, les décrets par lesquels Napoléon fixa un maximum des prix des grains (les 4 et 8mai 1812) appartenaient en réalité à une longue tradition de compromis entre le gouvernement et la masse des consommateurs. Tout cela changea pendant les années 1840, avec l’application rigoureuse du libre-échange par les gouvernements de l’époque, même pendant la crise généralisée de 1846-1847. D’après N. Bourguinat, ce changement d’attitude a des causes multiples. Dans la mesure où les progrès des transports etdes techniques associées au « circuit blé-pain » semblaient garantir un meilleur approvisionnement des marchés, la Monarchie de Juillet tendit à s’aligner plus nettement sur les positions des propriétaires et des marchands. Elle criminalisa les expressions de l’« économie morale » chez les consommateurs (que N. Bourguinat appelle également « contrat social des subsistances »), restreignit ce que les autorités locales avaient conservé de pouvoirs de réglementation sur les marchés locaux, et améliora l’efficacité des outils de répression des mouvements de protestation.

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La première partie examine la géographie changeante de la production des grains, ainsi que les mécanismes de formation des marchés. Elle confirme que même en 1850, des différentiels de prix significatifs séparaient encore le nord et le sud du pays, ou son centre et sa périphérie. L’auteur aborde ensuite la manière dont les contemporains percevaient le commerce des grains. Il considère que le souci constant d’accumuler des statistiques économiques et sociales, véritable obsession de la période, traduisait en réalité la position instable de l’État post-révolutionnaire, pris entre les « règles de non-ingé-rence dans l’économie et le marché du blé, et ses projets d’en accompagner le développement ou d’en superviser les accidents de parcours » (p. 53). Cette même activité statistique contribua aussi à développer une nouvelle perception de l’espace économique, et une « conscience de l’unité du territoire national » (p.81). Cette partie du livre se conclut sur une analyse du lien entre le rôle prépondérant de Paris dans le système d’approvisionnement national et l’évolution de la géographie des mouvements protestataires. N.Bourguinat confirme en particulier que vers 1846-1847, l’influence combinée de l’intervention étatique et de l’intégration des marchés avait significativement atténué les tensions dans l’hinterlandtraditionnel de la capitale, alors qu’au contraire d’autres régions, en particulier le Centre et l’Ouest, émergèrent comme « épicentres » des crises de subsistance. Son analyse fait écho aux travaux récents de Jean-Michel Chevet et d’autres chercheurs, pour qui un marché des grains intégré au plan national n’apparut en France qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle [1]
[1] Jean-Michel CHEVET, « National and regional corn markets...
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La deuxième partie analyse comment les crises de subsistance du XIXe siècle contribuèrent à faire émerger au plan national un nouveau vocabulaire taxinomique de la société française, fondé non plus sur l’idiome corporatif de l’Ancien Régime, mais sur l’élaboration, complexe et sans cesse contestée, d’un rapport aux ressources et aux besoins. Ce nouveau langage social visait à éviter le recours aux classifications d’Ancien Régime, fondées sur la hiérarchie et le privilège, et encouragea en définitive le développement de conceptions « modernes » des antagonismes de classe. Celles-ci à leur tour modelèrent les politiques de justice alimentaire, économiques, et policières. Ainsi, les données fournies par N. Bourguinat confirment d’autres études, qui situent dans les années1830 et1840 le moment où les descriptions de la société française en termes de fronts de classe se généralisèrent chez les théoriciens politiques et sociaux [2]
[2] William H. SEWELL,Gens de métier et révolutions : le...
. Les dirigeants politiques et les élites culturelles de la Monarchie de Juillet jouèrent un rôle pivot dans le développement de ce nouvel imaginaire social.

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En troisième partie enfin, l’auteur inventorie le « répertoire » des comportements et des symboles protestataires, les identités de leurs utilisateurs, y compris du point de vue du genre, les réponses des autorités, et leurs évolutions dans la période. Il refuse de s’engager dans des analyses statistiques, et critique les efforts de classification typologique des émeutes dans la mesure où, à ses yeux, de telles approches « induisent artificiellement des différenciations à l’intérieur du champ des incidents frumentaires », alors même que « l’idée d’une justice alimentaire redistributive formait aux yeux des contemporains un véritable ensemble » (p.356) [3]
[3] On trouvera ce genre de données statistiques dans deux...
. Notre auteur tente plutôt d’analyser la façon dont les mouvements protestataires et les gouvernements s’affrontaient autour de questions de « justice » et de « droits », renégociant ainsi constamment le « contrat social des subsistances » de l’Ancien Régime jusqu’en 1848. Pour N. Bourguinat, le Maximum révolutionnaire, ses racines d’Ancien Régime, et ses résonances au XIXe siècle, persistèrent tout ensemble dans la mémoire populaire aussi bien que dans celle de l’élite sous forme d’une « nostalgie » de l’État comme arbitre de la justice alimentaire. Mais lorsque la Monarchie de Juillet choisit de condamner nettement cette nostalgie mémorielle, et criminalisa de manière toute aussi nette les émeutes de subsistance, elle ouvrit du même coup la voie à des formes plus « modernes » de discours et de protestations politiques (p. 444). Les dernières années du régime connurent la dernière grande vague d’émeutes de subsistance, et le transfert au plan politique formalisé des exigences que ces émeutes exprimaient, ce qui contribua à la révolution de 1848. N.Bourguinat suggère aussi que c’est dans cette même période qu’eut lieu la rupture finale des liens déjà fragilisés entre la bourgeoisie et les classes populaires.

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En concluant que « l’action collective et la violence sont donc un terrain d’instabilités et d’incertitudes, et si elles se jouent autour de certains modes de relations entre peuple et pouvoirs, ces modes ne sont en rien un répertoire définitivement écrit » (p.11), ou encore que « la pluralité des relations de pouvoir ou de conflit à l’œuvre dans la dynamique des troubles frumentaires doit être réévaluée et la notion de la politique doit être réintroduite » (p. 23), l’auteur ne surprendra guère les historiens de l’Ancien Régime et de la Révolution. De plus, il sous-estime sans doute la sophistication théorique et pratique des administrateurs chargés des politiques d’approvisionnement aussi bien avant qu’après la Révolution [4]
[4] On pense en particulier à Colin LUCAS, « The crowd...
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En définitive, en essayant d’aborder une gamme très vaste de thèmes d’ailleurs fascinants, ce livre soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses.À vrai dire, le doctorat de 1997 duquel il est tiré offrait souvent une vision plus claire et abordable que dans la version révisée, qu’il s’agisse des arguments de l’auteur ou des faits qui les étayaient.

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Ainsi, l’analyse de l’intégration des marchés et de la géographie des émeutes aurait gagné à être accompagnée des représentations cartographiques offertes dans la thèse, d’autant que le refus tranché de l’auteur de compter et catégoriser les émeutes et leurs participants vide en fait certaines de ses affirmations d’une grande partie de leur substance.

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Enrègle générale, c’est le XIXe siècle qui donne lieu aux développements les plus solides, grâce au recours à une gamme considérable de sources, alors que les analyses portant sur des périodes plus anciennes, tributaires du nombre assez restreint de travaux utilisés, sont beaucoup plus faibles. Et il faut noter aussi que l’auteur n’accorde pas une importance suffisante aux vastes fonds d’archives conservés dans les archives départementales et au Service historique de l’armée de terre. Pourtant, en dépit de ces faiblesses, le travail de Nicolas Bourguinat, richement documenté, améliore de manière très significative notre compréhension globale d’une période trop souvent abordée de manière fragmentaire. Il souligne à quel point les politiques d’approvisionnement ont constitué de manière permanente un point focal de l’histoire française, et soulève en même temps toute une série de questions que de futures recherches se devront d’éclaircir.
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