AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


Poussin à Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 1.)
A Monsieur de Chantelou[1].
[15 janvier 1639.
Parle du tableau de la Manne qu’il va acheuer et de la résolution de venir en France[2].]

Monsieur, Plust à dieu n’auoir point de si légitimes escuses à vous faire comme les miennes. Peu de temps après auoir fet résolution de finir vostre tableau, mesme y aïant desjà fet quelques figures, un mal de vesie auquel je suis subiect, de quatre ans en sà, m’a trauaillé de manière que, dès lors jusques à présent, j’ay esté entre les mains des Médecins et Chirurgiens, tourmenté comme un danné ; mais, grâce à dieu, je me porte mieux, et espère que la santé me retournera comme deuant. Mais il faut que je die, que la mélanquolie que je me suis prinse de ne pouuoir suivre la bonne volonté que j’auois d’acheuer vostre tableau, m’a fet plus de mal que nulle autre chose ; et pensant tousiours à la promesse que je vous auois fette, m’en voyant empesché, j’ay voulu désespérer. Mais maintenant je me sens tourner le desir plus grand que jamais de vous seruir. Je m’en vas donc pousuiure, sans perdre une heure de temps. Pour la résolution que Monseigneur de Noyers désire scauoir de moy, il ne faut point s’immaginer que je n’ayes esté en grandisime doute de ce que je deuois respondre ; car après auoir demeuré l’espace de quinze ans entiers en ce pais icy, assés heureusement, mesmement m’y estans marié[3], en espérâse di mourir, j’avois conclu en moy mesme de suiure le dire Italien : Chi sta bene non si moua. Mais après auoir repceu une seconde lettre de la main du seigneur Le Maire[4], en la fin de laquelle il y a une jointe de vostre main qui dit : je me suis trouué à la closture de cette lettre de laquelle j’ay donné une partie de la matière, et cœt. ; qui a assés serui à m’esbranler, mesmement à me résoudre de prendre le parti que l’on m’offre, principalement pour ce que j’aurai par delà melieure commodité de vous seruir (monsieur) à qui je seray toute ma vie estroitement obligé

de Rome Ce 15 janvier 1638[5]. Nicolas Poussin Monsieur, je vous suplie que si se présentoit la moindre difficulté en l’accomplissement de nostre affaire de la laisser aler à qui la désire plus que moy. Car à la fin tout autant peu-je seruir icy le Roy, Monseigneur le Cardinal, Monsigneur de Noyers et vous, comme delà ausibien. Ce qui me fait prometre est, en grande partie, pour monstrer que je suis obéissans. Mais cependant je metray ma vie et ma santé en compromis, pour la grande difficulté que il y a à voyager maintenant ; outre que je suis mal sain : mais enfin je remetteray le tout entre les mains de Dieu et des vostres. J’atens vostre réponse.


Nous reproduirons toujours le texte exact de la suscription, sauf la répétition du mot Monsieur. On sait en effet qu’on écrivait d’abord sur une ligne : A Monsieur, puis à la ligne en dessous : Monsieur Un Tel.
Partout où Chantelou a écrit le sommaire des lettres (généralement au dos), nous le reproduisons, en tête du texte, et imprimé dans ce caractère spécial.
Poussin avait épousé Anne-Marie Dughet, fille aînée du peintre de ce nom, le 9 août 1630, à l’église San Lorenzo in Lucina (folio 173 du registre des mariages).
Il y eut alors trois peintres du nom de Lemaire. Il s’agit ici du plus connu : Jean Le Maire, dit le gros Lemaire, ou encore Le Maire Poussin, à cause de son amitié avec notre artiste. Né à Dammartin, 1597, il séjourna vingt ans à Rome, 1613-1633, se signala en France par ses travaux décoratifs au château de Ruel pour Richelieu ; retourna à Rome, en 1642, en compagnie de Poussin ; mort en 1655. — Voir : Sauvai, Antiquités de Paris, t. II, p. 207 ; Félibien, t. II, p. 659.
Bien que Poussin ait daté très lisiblement sa lettre du 15 janvier 1638, pourquoi a-t-on toujours été unanime à l’inscrire à la date du 15 janvier 1639 ?

1o H. Chardon (Les Fréart, p. 33) résume ainsi les raisons de fait, toutes trois justifiées :

a) En janvier 1638, Poussin n’avait pas quinze ans « entiers » de séjour en Italie, puisqu’il y était arrivé en 1624.

b) En janvier 1638, le tableau de la Manne ne peut guère être presque fini, puisqu’il ne sera envoyé que le 28 avril 1639.

c) En janvier 1638, Poussin ne pourrait pas être appelé en France par M. de Noyers qui n’obtiendra la surintendance des Bâtiments que le 16 septembre 1638.

2o Les raisons tirées de l’examen du ms. 12341, bien que peu décisives, n’infirment pas les précédentes :

a) La remarque de H. Chardon que cette date : 1638, est d’une autre encre que le reste de la lettre, paraît exacte, mais elle ne porte guère, parce que Poussin a pu écrire la lettre le 13 ou le 14 janvier, par exemple, et ne la dater que le jour du départ de l’ordinaire, le 15.

b) Les indications manuscrites de Chantelou sont insuffisantes. À côté de l’adresse, il a écrit, sans doute à des époques différentes, deux mentions : l’une porte nettement : M. Poussin xv janvier 1638, et dans l’autre : 15 janvier 1638, le 8 a ensuite été surchargé d’un 9.

3o D’ailleurs, l’autorité de Félibien, qui connaissait en détail toutes ces lettres, et bien d’autres, confirme pleinement la date de 1639 : « … il eût de la peine à se résoudre de venir à Paris, comme j’ai vu par une de ses lettres (du 15 janvier 1639), où il témoigne à M. de Chantelou, qu’il ne désire point quitter Rome, mais d’y servir le Roi, M. le Cardinal et M. de Noyers

en tout ce qui lui sera commandé : ce ne fût qu’après avoir recû la lettre (des 14 et 15 de janvier 1639) de M. de Noyers et celle du Roi qu’il écrivit à M. de Chantelou qu’il se disposoit pour partir l’automne suivant » (Félibien, p. 21). L’erreur de Poussin est d’ailleurs des plus explicables : la nouvelle année (1639) n’avait encore que quinze jours, et l’habitude lui a fait écrire l’ancien millésime (1638).
Commenter  J’apprécie          00









{* *}