Rien ne me faisait peur, ni les cailloux sur le sol, ni mes fines roues sous-gonflées, ni les automobilistes qui me frôlaient, ni même le vent face auquel je n’avais d’autres choix que de plisser mes yeux jusqu’à la cécité. (...) Je continuai de descendre, me prenant pour un champion de cyclisme. (…) Je ne sais combien de temps dura ma descente. Une chose était certaine, elle fut bien trop rapide. Mais elle m’avait été entièrement donnée. Personne ne vint m’arrêter et tronquer ce moment, mon moment.
Les premières années de ma vie, si heureuses avaient-elles pu être, m’avaient aveuglé. Je les avais toujours considérées comme étant la seule et unique vérité, le point de départ d’une vie que je croyais être droite et linéaire. Il ne s’agissait que d’une illusion.
Ce qui m’apportait en cet instant était d’utiliser cette belle plume, comme j’avais pu être amenée à le faire lorsque j’allais encore à l’école, et de jouer à être mon père. Pour devenir un voyageur perdu hors du temps, avec le désir d’étoffer le livre de mon passé en y insérant de nouvelles pages, sur lesquelles seraient gravés, non pas des mots, mais des souvenirs. Des souvenirs d’un père aux multiples visages, dont de nombreux m’avaient été cachés après notre arrivée ici en provenance de la grande ville.
Raccroche-toi à la bonne branche. Ne te satisfais plus de regarder celle en dessus ni celle d’à côté, quand bien même tu as pu autrefois y passer du bon temps. Il te faut d’abord changer d’arbre, et rejoindre celui qui t’a été attribué. Celui sur lequel tu pourras t’élever jusqu’à en atteindre la cime. Pour pouvoir goûter les rayons de soleil qui te sont destinés, et dominer. Te dominer.