Noël Burch

[Sur Jean-Luc Godard et Agnès Varda] ... si Godard emploie toute une gamme de rapports entre la caméra et ses personnages, il est extrêmement rare qu'il les filme à leur insu, ou sans qu'ils en soient avertis (le seul emploi que nous lui connaissons de cette technique est dans son deuxième film "Une femme est une femme"). En effet, comme l'a dit Susan Sontag, "Ce n'est pas que Godard fasse des films improvisés, mais qu'il aime à leur donner l'apparence de l'improvisation". Agnès Varda, par contre, a donné avec "Opéra-Mouffe", un exemple presque unique de dialectique rigoureuse opposant prises de vues "sur le vif" à des prises de vues manifestement "concertées", la liaison étant assurée en quelque sorte par des prises de vues manifestement concertées mais ayant l'apparence de prises de vues "sur le vif". La compartimentation rigide des séquences et surtout les grandes variations de durée entre celles-ci fournissent l'armature centrale autour de laquelle s'organise cette autre dialectique. Et la "coloration" de cette dialectique "sur le vif-concerté" s'enrichit d'autant plus que celle-ci va de pair avec une "gamme d'expression" qui s'étend du "réalisme brut" (images prises sur le vif) à un "irréalisme" franchement poétisé (images concertées) en passant par une sorte de "fantastique social" assez savoureusement ambigu (images concertées d'apparence brute).

[...] si le film est encore aujourd'hui pour une large part communication imparfaite, on voit bien maintenant qu'il peut être objet pur, la fonction syntaxique devenant, en symbiose avec la fonction plastique, fonction poétique. Y participent, également à titre organisateur, les mouvements, les entrées et sorties du champ, la composition, etc., mais il nous semble que le changement de plan sera la base des structures infiniment plus complexes des films de l'avenir.

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