Après chaque appel je m'arrêtais plusieurs minutes, et guettais tout signe annonçant leur approche. Longtemps avant de les voir, il y avait des signes avant-coureurs. Une bande de pintades brisait le silence et s'envolait en poussant des cris perçants, ou bien un francolin, subitement enfièvré, lançait son cri rauque, et tout le gibier, aux alentours, s'agitait puis s'enfuyait. Je voyais alors l'herbe onduler, à mesure que les lions approchaient, et tout à coup ils apparaissaient sur la rive opposée, Big Boy naturellement prenant les devants et survenant longtemps avant son frère. C'était un vrai plaisir de les voir là, dévalant précipitamment la pente, traversant la langue de sable, hésitant un instant avant de se jeter dans l'eau profonde pour gagner l'autre rive et m'y rejoindre. Ils manifestaient leur joie en frottant affectueusement leur corps mouillés contre moi, tout en faisant entendre des grognements ronronnants et tendres. On eût dit de gigantesques Labradors qui retrouvent leur maître après une longue absence.
La rivière coulait à travers un beau pays, à végétation luxuriante, dominé par de majestueux Pycaranthes (Acacia albidae), par des Msekisi (Trichelia) vert foncé, qui donnent de l'ombre, par des Tamariniers et les fantastiques Arbres Saucisses, avec leurs fruits énormes et abondants en forme de saucisses suspendus à de longues queues qui ressemblent à des cordes. Nous étions bien à l'écart des chemins battus, et il n'y avait pas de villages indigènes ou d'autres habitations dans un rayon de plusieurs milles. La région était vraiment un paradis de gibier. Aux heures de grandes chaleur, pukus, impalas, kobs, venaient boire à la rivière. Régulièrement à midi un petit troupeau d'une demi-douzaine de kudus femelles, avec quelques-uns des petits de la dernière saison, s'abreuvait, à trois cent mètres sur l'autre berge.
Écouter les bruits nocturnes de la brousse africaine est la forme de détente la plus apaisant et la plus satisfaisante que je connaisse, bien que je doive admettre que ces rugissements de lions tellement proches sont quelquefois assez troublants ; mais en règle générale, j'éprouve un immense plaisir à rester éveillé dans mon lit et à essayer d'interpréter les bruits des habitants de ce monde mystérieux. On a l'impression d'être désentravé, désincarné, pourrait-on dire, à l'écoute d'une scène dans laquelle nous ne jouons aucun rôle. Les luttes, intrigues et frustrations du monde civilisé deviennent insignifiants dans ce pays enchanté, interdit, mélange de fantastique et de réalité.