UN CHANT DANS L'EPAISSEUR DU TEMPS (1992)
ÉLÉGIE
J'ai entendu dire qu'il ne fréquentait personne
ces temps derniers ; il montait seul la rue, jusqu'au café,
et rien ne détournait son regard d'une attention ancrée
quelque part, ou d'une pensée qu'il gardait pour
lui-même. La vie est toujours une réalité fragile
pour qui s'aperçoit de l'automne et des premiers vents
du nord, lesquels apportent les cieux clairs et les nuages
froids,
et glacent l'âme qui ne s'est pas faite à la solitude. Je lui
réponds :
« La poésie ne donne pas de réponse à cet ultime inconfort
de l'être. » Il ne m'entend pas, maintenant que son
propre nom
s'efface dans la monotonie des soirs et des saisons
lentes. Seul
un oiseau de jadis croise, parfois, le ciel d'oubli
où son ombre sommeille ; laissant un sillage d'ailes,
tel un vers, réveiller un instant son image.
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