La philosophie première d'Anna était que le rêve sauvait le monde. Que tandis qu'elle dormait, le monde déjà corrompu, abîmé, usé, se régénérait. En rêvant, elle sauvait toute chose de la mort. Personne ne savait cela évidemment, les gens sont si pitoyablement bidimensionnels ("comme une feuille de papier", disait-elle) ; il n'y avait qu'elle, son médecin et moi qui connaissions la vérité.
Je n'accordais pas foi à ses paroles, mais j'abandonnai l'idée de la ramener sur terre. Pourquoi devions-nous avoir les pieds sur terre, me disais-je. Il n'y a aucun mal à penser que l'on est celui qui maintient l'existence du monde, qu'on le porte sur les épaules, tel Atlas. Qu'on le sauve, qu'on meurt pour lui. En un sens, c'est exact. Quand on y regarde d'une certaine façon, c'est une vérité majeure.