La mobilité, la variabilité, le caractère illusoire de ce qu’il entreprend, voilà ce qui caractérise l’homme civilisé. Les barbares ne voyagent pas, ils ne font que cheminer d’un point vers un autre, pour un objet précis ou pour lancer une invasion.
Je ne parvins à m’endormir qu’avec un somnifère qui me plongea à nouveau dans mon trou temporel bien-aimé, où mon corps et moi tombâmes comme dans un nid tapissé de duvet d’oiseaux. Depuis que ma maladie s’était déclarée, je m’entraînais ainsi chaque nuit à l’inexistence.
Cependant, ne croyez pas, mon frère, que je ne ferais que lire. J’aimerais me rendre utile, et je sais que votre ordre, les réformateurs de Dieu, c’est précisément ce qu’il me faut. Je voudrais améliorer le monde, y réparer tout ce qui est mauvais…
Le religieux se leva, et coupa Isidor au milieu de sa phrase :
—Réparer le monde, dis-tu. C’est très intéressant, mais irréaliste. Le monde ne saurait être amélioré ni rendu pire. Il doit rester tel qu’il est.
—Mais pourtant, vous vous êtes appelés « réformateurs ».
—Ah, tu as mal compris, mon garçon. Nous n’avons pas l’intention de réformer le monde. Nous réformons Dieu.
Un silence passa.
Je travaillais dans une école [...] Je m'étais toujours efforcée de capter toute l'attention des enfants afin qu'ils se souviennent des choses importantes, non par peur de récolter une mauvaise note, mais par passion et curiosité.
p. 133
L’âge venant, beaucoup d’hommes souffrent d’une sorte de déficit, que j’appelle « autisme testostéronien ». Il se manifeste par une atrophie progressive de l’intelligence dite sociale et de la capacité à communiquer, et cela handicape également l’expression de la pensée. Atteint de ce mal, l’homme devient taciturne et semble plongé dans sa rêverie. Il éprouve un attrait particulier pour toutes sortes d’appareils et de mécanismes. Il s’intéresse à la Seconde Guerre mondiale et aux biographies de gens célèbres, politiciens et criminels en tête. Son aptitude à lire un roman disparaît peu à peu, étant entendu que l’autisme dû à la testostérone perturbe la perception psychologique des personnages.
Lorsqu'on regarde certaines personnes, notre gorge se noue et nos yeux se voilent de larmes d'émotion. Ces personnes-là donnent l'impression d'avoir su préserver en elles le souvenir de notre ancienne innocence comme si elles relevaient d'un égarement de la nature et qu'elles avaient, dans une certaine mesure, échappé à la Chute. Peut-être sont-elles des messagers, à l'instar de ces serviteurs qui, retrouvant leur prince égaré, incapable de se rappeler qui il est, lui montrent une robe d'apparat qu'il portait dans son pays et lui font ainsi comprendre qu'il est temps de reprendre le chemin de la maison (p. 136).
Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tel que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d’aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit.
J’avais beau traquer la vie, elle m’échappait toujours. Je ne tombais que sur ses traces, les pauvres restes de ses mues. Quand je cherchais à la repérer, elle était déjà ailleurs.
Il faut absolument que vous alliez aux Caraïbes ! Et surtout à Cuba, tant que Fidel est encore au pouvoir. Quand il sera mort, Cuba deviendra comme tout le reste. Pour l’instant, on peut encore y voir un peu de pauvreté authentique. Ah, si vous voyiez dans quels tacots ils roulent ! Mais il faut vraiment se dépêcher, il paraît que Fidel est très malade.
L’homme est un être bête qui doit apprendre. Il s’enrobe de savoir, il le butine telle une abeille, l’accumule, l’utilise et le transforme. Mais les connaissances qui, comme une couche de crasse, se collent à un homme en surface ne modifient pas cet homme davantage que ne le ferait un changement d’habit.