Il voulut se lever, mais l'effort lui parut insurmontable. Une main tendue se présenta devant son visage. Elle était fine, diaphane, féminine et accueillante. Il la saisit sans oser regarder au-delà et se redressa. Il finit par relever la tête. Devant lui se trouvait une jeune femme nimbée d'une étrange luminosité. Elle lui portait un regard sans expression, entièrement noir, mais Aodhan ressentait une profonde aménité. Le visage de l'être était peint d'une grande bonté. La créature se tourna lentement et d'un geste ample lui désigna une direction. Le meldète écarquilla les yeux et voulut crier, mais se sentit partir, puis arraché, emporté dans une accélération.
Aux dépens de toute mesure de prudence, Aodhan hurla ses remerciements à la forêt, espérant que son cri soit entendu.
— Le guide survivra, car il n'était pas écrit qu'elle tombât aujourd'hui.
Ce dernier murmure dans le vent arriva jusqu'aux oreilles d'Aodhan. Il regarda de nouveau la jeune femme, comprenant que son importance le dépassait complètement.
Une fontaine centrale déversait doucement de la gueule d'une statuette primitive de la fécondité, l'eau glacée d'une source dans une vasque de marbre noir qui débordait vers un bassin de mosaïque. De vieilles carpes blanches, symboles de sagesse et de longévité, y demeuraient depuis des décennies, bien avant la naissance de la maîtresse des lieux.
Ses yeux sombres avaient laissé la place à des substituts citrins que des pupilles obsidiennes crevaient de leur contraste.
Il resta prostré, ballotté par sa monture dans un environnement sonore distordu. Chaque instant lui parut un fragment d'éternité, mais le cri de Veia l'arracha de sa transe.
Les Ankhou'ens chuintèrent une nouvelle fois, mais le hurlement d'un loup figea l'environnement. Long, lugubre, il résonna dans la nuit et alla se perdre dans le lointain, l'écho rebondissant sur les parois des vallons qui s'enfonçaient comme des cicatrices dans la chair de Douaratil.
Harnhael se retourna vers Arawn et Finn qui venait de récupérer le bouclier du Meldète tombé.
— Il n’y aura pas de quartier.
Finn qui prenait toujours le ton de la plaisanterie trouva utile d’ajouter :
— Cela nous évitera toute controverse tactique.
Il vit la baie d'Émeraude vaciller autour de lui. Sa vue se troubla. Son corps se mit à se convulser comme la vie le quittait. Une douleur immense le saisit lorsque son crâne éclata sur les parois de la falaise, puis, plus rien.
Sache que ta lame boira la vie de ta Sorcière. Sache que cela sera nécessaire, car il est écrit dans les fragments de Meknath : « Et elle s'offrit à la lame pour abreuver le faucheur »
Elle porta ses lèvres près de son oreille et chuchota :
— Arawn, mon promis, mon amour, attends-moi, je vais venir te chercher.
Et Cerridwen ferma les yeux.
L'aube arriva enfin comme la promesse d'une autre journée interminable et éreintante. Cerridwen pria pour les bons auspices de la journée.