AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de francoisdegrande


1. Olivier Papleux. La Vénus de la Vallée mosane, Bruxelles, M.E.O, 2023
Je vais vous parler d’une belle découverte, toute récente. Il s’agit d’un roman qui porte sur une enquête « génético-paléolithique ». Je ne connaissais pas son auteur, Olivier Papleux. Je l’ai rencontré à la Foire du Livre à Bruxelles la fin du mois de mars, où il signait son roman chez M.E.O.
Nourri de réflexions intéressantes sur le couple, la parentalité et la survivance du passé en nous, le roman adopte d’entrée de jeu une structure lunaire. Le livre est en effet découpé poétiquement en dix lunes, s’offrant comme le miroir de la grossesse à risque d’Ève, que l’on suit du point de vue passionné d’André, son mari. Dès « La première lune », qui s’ouvre sur une citation de Nietzsche, empreinte de platonisme astral, le lecteur lève les yeux au ciel : « Ce que je préfèrerais, c’est d’aimer la Terre comme l’aime la Lune et de n’effleurer sa beauté que des yeux ».
Lecteur de Malinowski, le personnage principal, André, est attachant :« Oui, je suis un bricolo-intello. C’est ainsi qu’on me définit au boulot. Une fois les tuiles disposées et les corniches accrochées, j’aime confier mes gros doigts blessés au clavier de l’ordinateur » (9). « Ma femme est également salariée des Établissements Namur et Toiture, la PME créée par mon grand-père et revendue depuis quelques années. » (11).
Le roman démarre au détour d’un passage crucial au conditionnel :
-« André ? »
Quand elle m’appelle par mon prénom, mon cœur s’arrête de battre, je ne respire plus, pressens que le moment est important. « Oui ».
Elle se lève, range nos assiettes, vient s’asseoir sur mes genoux.
« Est-ce que je ne serais pas enceinte ? »
[…]
« Depuis quand le serais-tu ?
-Hier » ( 12).
Si je me concentre sur l’impression que m’a laissée ce roman, je dirais en premier lieu que ce que j’ai trouvé touchant, mais peut-être est-ce là un point de vue d’homme, c’est la mise en scène du lien indéfectible entre André et son fils adoptif, Emmanuel, au moment où Ève s’apprête à donner la vie, après de nombreux échecs. On s’attendrait logiquement à une focalisation casanière sur la figure unique de la mère et de l’enfant qui croît en elle, mais l’histoire va prendre une autre direction, masculine d’apparence, s’envolant de Namur, vers d’autres horizons, au point d’éclipser la grossesse, pour chercher à la sauver, paradoxalement. Olivier Papleux, qui est aussi nouvelliste, prend ici la mesure des largesses permises par le genre romanesque. Pour reprendre la formule splendide de Carlos Fuentes, « si la nouvelle est un voilier qui ne s’éloigne jamais trop des côtes pour ne pas faire naufrage, le roman est un transatlantique qui peut traverser les océans » . On verra le tandem formé par André et Emmanuel au Moyen-Orient, dans les Balkans et, plus proche de nous, en Dordogne. Les réflexions sur l’origine, permanentes en amont de l’écriture, se reflètent à merveille dans les métaphores qui inondent le fil des pages : « Lorsque je tiens une conférence sur l’évolution des Homo sapiens, j’établis souvent une comparaison avec la Vézère. Son cours donne l’impression d’une progression naturelle d’amont en aval jusqu’à la Dordogne. En réalité, elle est alimentée d’une quantité de rivières provenant d’autres sources que la sienne. La lignée humaine est tout sauf une descendance directe d’une Ève et d’un Adam, elle est un brassage de lignées, elles-mêmes métissées » (Hélène en page 142)
Malgré les annonces aux éléments féminins et locaux du titre (Vénus, une vallée, la Meuse), le cours de La Vénus de la Vallée Mosane se déploiera sur un long chemin rythmé par les démarches d’André qui cherche à répondre le plus scientifiquement possible à cette question : pourquoi les trois aïeules directes d’Ève sont-elles mortes en couches ? Si l’homme remue ciel et terre pour que sa femme puisse survivre à la naissance, dans les faits, au quotidien, il n’est pas là, au point de laisser un certain Bernard prendre ses quartiers de lune sur son canapé… Mais la mise entre parenthèses du suivi en présentiel de la grossesse d’Ève au quotidien est justifié par l’obsession intellectuelle autour du génome, qui doit déboucher sur l’éclaircissement du mystère génétique.
Intéressants également : les relents de culpabilité, hérités dès la naissance, dans une famille où le don de la vie rime avec la mort. « Ève pratique d’instinct une foi catholique héritée de ses grands-parents paternels. Son père l’a rejetée à la naissance. La tenant probablement pour responsable de la mort de son épouse, il l’a confiée à ses propres parents aujourd’hui disparus. Il lui rendait visite lorsque ses voyages d’affaires le lui permettaient »(14). Soucieux que son fils adoptif connaisse son grand-père maternel, c’est d’ailleurs André qui organise leurs rencontres.
Le roman est didactique et plaisant : on s’instruit, notamment sur les questions de génétique, de façon agréable. Les littéraires et les scientifiques pourront s’y retrouver, sans doute grâce au profil particulier de l’auteur, sur lequel il faut absolument dire un mot. Mathématicien de formation, Olivier Papleux est aussi un des corédacteurs du Dictionnaire officiel du Scrabble, son passe-temps préféré, qui se situe à la croisée des chiffres et des lettres. « Le profil du Scrabbleur n’a rien de littéraire », déclare-t-il. « Au contraire, les champions de Scrabble sont des ingénieurs, informaticiens ou mathématiciens qui analysent la grille en quête d’une place rentable pour y placer le bon mot; alors que les littéraires purs cherchent d’abord le beau mot pour ensuite tenter de l’insérer dans la grille ». Spécialiste des mots français de Belgique et expert dans l’art des définitions, cette activité, confie-t-il, l’aide énormément dans son style d’écriture car il lui apprend la précision et la concision. Le manuscrit est écrit avec une grande rigueur. Le côté mathématicien et homme de lettres de l’auteur se laisse d’ailleurs deviner dès le titre, à l’équilibre parfait (deux V, quatre L, deux S, deux N,…) On voit d’entrée de jeu qu’il va être question de fusion, entre les êtres et entre les lettres. Pressentant que les règles de son monde romanesque jouaient autant avec la valeur des lettres que des chiffres, j’ai interrogé l’auteur sur les rapports entre l’activité de romancier et son « côté Scrabbleur » : « [Cela]m’aide certainement dans la construction du récit. Je conçois mon histoire comme une grande grille encore vide de Scrabble divisée en chapitres et en scènes. Certaines cases (scène x, chapitre y) ont plus de valeurs que d’autres (début de scène, rebondissement, errement, …). Ensuite, je me documente énormément et je remplis mes cases d’éléments clefs. Un fois la phase de documentation et de construction terminée, je commence à rédiger. La rédaction de La Vénus de la vallée mosane semble prendre le chemin d’une partie de Scrabble où les indices s’accrochent aux découvertes antérieures avec ses avancements et ses fausses pistes, comme les mots d’une partie s’accrochent aux autres et mènent parfois à des impasses ».
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}