Je viens à l'instant de terminer La Vénus de la vallée mosane... et quel voyage... et quel beau roman...
Avalé en quelques heures, ce parcours de la grossesse d'une femme (grossesse d'un monde ?), vous l'avez imaginé en alliant intelligemment vos recherches sur la préhistoire et votre sensibilité. En outre, le récit nous rappelle la croissance plus homogène qu'on ne l'imagine de l'humanité (leçon à prendre pour certains !).
Les personnages sont très accessibles : Ève est fragile et courageuse, Emmanuel découvre ses origines (comme le lecteur ?) et André enquête, transit, aime, doute et espère.
Félicitations pour votre écriture soignée, la documentation et l'audace d'aborder un morceau philosophique.
Je pense que de tous vos livres, c'est celui que j'ai préféré. le personnage d'André m'a touchée : obstiné dans sa recherche, ouvert aux théories, attentionné envers son fils adoptif, plus "mesuré" que ceux des romans précédents mais ô combien sensible, et humble oserais-je dire devant le séisme qui secoue son couple.
Merci à la chance qui m'a permis de découvrir vos ouvrages et vivement le suivant !
Commenter  J’apprécie         120
Une femme, Eve, tombe enceinte et découvre que ses trois aïeules directes sont mortes en couche. Soupçonnant une maladie portée par un gène d'origine néandertalienne, son mari et leur fils adoptif ont dix lunes pour sauver la femme et la maman de leur vie. le père et le fils se lancent dans la traque d'une gêne tueur, à travers le temps, la généalogie et plusieurs pays.
Le compte à rebours est enclenché !
Un conte, oui, mais un conte philosopho-scientifique.
Parfois touchant dans les rapports entre le père et le fils adoptif, d'origine copte d'Égypte.
Parfois « drôle » dans la profanation d'un cimetière et les questions sur la mort.
Mais ce mélange de roman et d'enquête génético-paléolithique dans un style de bons sentiments !
Si l'Homo sapiens a pu émigrer plus à l'ouest, au nord, survivre en Europe face au froid… grâce à un gène transmis par le Neandertal, cela permet-il d'en tirer des leçons sur le présent ?
Qu'un scientifique parle de courbure du temps, cela ouvre des visions poétiques mais là, il s'agit d'un roman, à mon avis, trop didactique.
Bref, je ne suis pas « rentré » dans ce roman.
Désolé.
Désolé pour ceux qui ont apprécié cette histoire d'amour, ses personnages sympathiques, plein d'humanité. Tout cela bien sûr est vrai.
Désolé mais je n'y arrive pas et pourtant il faudrait.
En espérant que l'amour de la Meuse et sa vallée nous réunisse. Cette rivière qui passe à Charleville-Mézières (Et pourquoi, bon sang, ce sacré Rimbaud la fuyait-il ?) et qui finit « avec la mer du nord pour dernier terrain vague ».
Commenter  J’apprécie         71
1. Olivier Papleux. La Vénus de la Vallée mosane, Bruxelles, M.E.O, 2023
Je vais vous parler d’une belle découverte, toute récente. Il s’agit d’un roman qui porte sur une enquête « génético-paléolithique ». Je ne connaissais pas son auteur, Olivier Papleux. Je l’ai rencontré à la Foire du Livre à Bruxelles la fin du mois de mars, où il signait son roman chez M.E.O.
Nourri de réflexions intéressantes sur le couple, la parentalité et la survivance du passé en nous, le roman adopte d’entrée de jeu une structure lunaire. Le livre est en effet découpé poétiquement en dix lunes, s’offrant comme le miroir de la grossesse à risque d’Ève, que l’on suit du point de vue passionné d’André, son mari. Dès « La première lune », qui s’ouvre sur une citation de Nietzsche, empreinte de platonisme astral, le lecteur lève les yeux au ciel : « Ce que je préfèrerais, c’est d’aimer la Terre comme l’aime la Lune et de n’effleurer sa beauté que des yeux ».
Lecteur de Malinowski, le personnage principal, André, est attachant :« Oui, je suis un bricolo-intello. C’est ainsi qu’on me définit au boulot. Une fois les tuiles disposées et les corniches accrochées, j’aime confier mes gros doigts blessés au clavier de l’ordinateur » (9). « Ma femme est également salariée des Établissements Namur et Toiture, la PME créée par mon grand-père et revendue depuis quelques années. » (11).
Le roman démarre au détour d’un passage crucial au conditionnel :
-« André ? »
Quand elle m’appelle par mon prénom, mon cœur s’arrête de battre, je ne respire plus, pressens que le moment est important. « Oui ».
Elle se lève, range nos assiettes, vient s’asseoir sur mes genoux.
« Est-ce que je ne serais pas enceinte ? »
[…]
« Depuis quand le serais-tu ?
-Hier » ( 12).
Si je me concentre sur l’impression que m’a laissée ce roman, je dirais en premier lieu que ce que j’ai trouvé touchant, mais peut-être est-ce là un point de vue d’homme, c’est la mise en scène du lien indéfectible entre André et son fils adoptif, Emmanuel, au moment où Ève s’apprête à donner la vie, après de nombreux échecs. On s’attendrait logiquement à une focalisation casanière sur la figure unique de la mère et de l’enfant qui croît en elle, mais l’histoire va prendre une autre direction, masculine d’apparence, s’envolant de Namur, vers d’autres horizons, au point d’éclipser la grossesse, pour chercher à la sauver, paradoxalement. Olivier Papleux, qui est aussi nouvelliste, prend ici la mesure des largesses permises par le genre romanesque. Pour reprendre la formule splendide de Carlos Fuentes, « si la nouvelle est un voilier qui ne s’éloigne jamais trop des côtes pour ne pas faire naufrage, le roman est un transatlantique qui peut traverser les océans » . On verra le tandem formé par André et Emmanuel au Moyen-Orient, dans les Balkans et, plus proche de nous, en Dordogne. Les réflexions sur l’origine, permanentes en amont de l’écriture, se reflètent à merveille dans les métaphores qui inondent le fil des pages : « Lorsque je tiens une conférence sur l’évolution des Homo sapiens, j’établis souvent une comparaison avec la Vézère. Son cours donne l’impression d’une progression naturelle d’amont en aval jusqu’à la Dordogne. En réalité, elle est alimentée d’une quantité de rivières provenant d’autres sources que la sienne. La lignée humaine est tout sauf une descendance directe d’une Ève et d’un Adam, elle est un brassage de lignées, elles-mêmes métissées » (Hélène en page 142)
Malgré les annonces aux éléments féminins et locaux du titre (Vénus, une vallée, la Meuse), le cours de La Vénus de la Vallée Mosane se déploiera sur un long chemin rythmé par les démarches d’André qui cherche à répondre le plus scientifiquement possible à cette question : pourquoi les trois aïeules directes d’Ève sont-elles mortes en couches ? Si l’homme remue ciel et terre pour que sa femme puisse survivre à la naissance, dans les faits, au quotidien, il n’est pas là, au point de laisser un certain Bernard prendre ses quartiers de lune sur son canapé… Mais la mise entre parenthèses du suivi en présentiel de la grossesse d’Ève au quotidien est justifié par l’obsession intellectuelle autour du génome, qui doit déboucher sur l’éclaircissement du mystère génétique.
Intéressants également : les relents de culpabilité, hérités dès la naissance, dans une famille où le don de la vie rime avec la mort. « Ève pratique d’instinct une foi catholique héritée de ses grands-parents paternels. Son père l’a rejetée à la naissance. La tenant probablement pour responsable de la mort de son épouse, il l’a confiée à ses propres parents aujourd’hui disparus. Il lui rendait visite lorsque ses voyages d’affaires le lui permettaient »(14). Soucieux que son fils adoptif connaisse son grand-père maternel, c’est d’ailleurs André qui organise leurs rencontres.
Le roman est didactique et plaisant : on s’instruit, notamment sur les questions de génétique, de façon agréable. Les littéraires et les scientifiques pourront s’y retrouver, sans doute grâce au profil particulier de l’auteur, sur lequel il faut absolument dire un mot. Mathématicien de formation, Olivier Papleux est aussi un des corédacteurs du Dictionnaire officiel du Scrabble, son passe-temps préféré, qui se situe à la croisée des chiffres et des lettres. « Le profil du Scrabbleur n’a rien de littéraire », déclare-t-il. « Au contraire, les champions de Scrabble sont des ingénieurs, informaticiens ou mathématiciens qui analysent la grille en quête d’une place rentable pour y placer le bon mot; alors que les littéraires purs cherchent d’abord le beau mot pour ensuite tenter de l’insérer dans la grille ». Spécialiste des mots français de Belgique et expert dans l’art des définitions, cette activité, confie-t-il, l’aide énormément dans son style d’écriture car il lui apprend la précision et la concision. Le manuscrit est écrit avec une grande rigueur. Le côté mathématicien et homme de lettres de l’auteur se laisse d’ailleurs deviner dès le titre, à l’équilibre parfait (deux V, quatre L, deux S, deux N,…) On voit d’entrée de jeu qu’il va être question de fusion, entre les êtres et entre les lettres. Pressentant que les règles de son monde romanesque jouaient autant avec la valeur des lettres que des chiffres, j’ai interrogé l’auteur sur les rapports entre l’activité de romancier et son « côté Scrabbleur » : « [Cela]m’aide certainement dans la construction du récit. Je conçois mon histoire comme une grande grille encore vide de Scrabble divisée en chapitres et en scènes. Certaines cases (scène x, chapitre y) ont plus de valeurs que d’autres (début de scène, rebondissement, errement, …). Ensuite, je me documente énormément et je remplis mes cases d’éléments clefs. Un fois la phase de documentation et de construction terminée, je commence à rédiger. La rédaction de La Vénus de la vallée mosane semble prendre le chemin d’une partie de Scrabble où les indices s’accrochent aux découvertes antérieures avec ses avancements et ses fausses pistes, comme les mots d’une partie s’accrochent aux autres et mènent parfois à des impasses ».
Page 101
En 1886, on découvrait dans la grotte de Spy deux restes hu mains qui, trente ans après ceux trouvés dans la vallée du Neander en Allemagne, faisaient admettre à la communauté internationale l’existence en Europe d’une autre espèce hominienne que le Sapiens.
Les ossements datant de 38 mille ans, cet Homme – et cette Femme – de Spy sont considérés comme les spécimens néandertaliens les plus récents de Belgique.
Dans un premier temps, nous musardons à travers bois jusqu’à l’entrée de l’abri où nos ancêtres se rassemblaient pour vivre. Je prends quelques photos de mon gamin qui s’amuse à mimer une hyène des cavernes et m’essaie moi-même à quelques cris d’animaux cruels. Rires partagés et folie douce.
De retour au centre d’interprétation, Emmanuel, insatiable, exige de lire à voix haute les textes explicatifs de chaque panneau.
« C’est quoi des congénères ? »
Je me prête de bonne grâce à l’ennuyeux exercice, définissant les mots qu’il ne connaît pas et savourant son excellente diction.
« Ce sont des êtres qu’on estime génétiquement proches de toi !
– Et qui sont de ma famille, alors ? »
Une fraction de seconde, je perçois la faille.
« C’est un concept assez vague dont le sens varie suivant le contexte. Si nous recevons des nouvelles positives de 23andME, nous pourrons dire qu’ils ont trouvé en Égypte ou ailleurs des correspondances avec tes congénères.»
Nous apprenons la découverte d’un troisième fossile humain dans la grotte de Spy, celui d’un bébé mort à dix-huit mois et, classées par thématiques, les pratiques de nos cousins. Jusqu’au dernier objet exposé, jusqu’au dernier mot, Emmanuel exécute son rituel de lecture. Les enfants se donnent parfois des défis bien éprouvants !
Contrairement à ce que les paléontologues pensaient, le Sapiens et le Néandertal se sont métissés à un moment donné de leur histoire. Et la séquence génétique néandertalienne ne s’est pas totalement diluée dans celle des Hommes modernes qui étaient pourtant plus nombreux. L’explication en est simple ! Rare ou pas, le métissage agit comme la coloration de l’eau. Même quand le liquide est en pleine expansion, toutes ses gouttelettes se colorent un peu. Si la majorité de la population européenne possède trois pour cent de bons gènes néandertaliens, ceux-ci seront conservés.
Vous et moi, nous avons en nous quelque chose de l’Homme de Néandertal.
Alors que nous atteignons le Volcan des Gorilles, un petit groupe de Japonais s’agite face aux baies vitrées intérieures. Deux primates regardent calmement les Asiatiques qui photographient, gloussent et grimacent. De toute évidence, l’humain n’est pas une finalité de la création ni l’objectif d’un Dieu tout puissant. Là, en cet instant, je ne sais vraiment pas qui observe qui. Et je me demande, de l’espèce en voie de disparition dont on a enfermé deux spécimens, ou de celle qui a payé plusieurs dizaines d’euros pour venir singer des gorilles, qui est la plus décérébrée ! Je devine ce qu’Ève me répondrait.
L’ADN des gorilles est à 98,4 % identique à celui des humains. En quoi serais-je supérieur à mon cousin hominidé ? Je suis en colère.
Ce soir, nous fêtons mon anniversaire.
Je suis né un jour gris et pluvieux où les âmes d’ici se perdent dans leur belgitude. Sous la douche, je me demande si mon fils et ma femme m’ont préparé quelque chose. Comme chaque année, je ne souhaite pas de festivités ni restaurant ni grand tralala. Cependant, je serais triste s’ils ne pensaient pas un peu à moi, ne m’octroyaient pas la primauté d’être le roi d’un jour, d’un petit moment du jour.