Pascal Wintzer

Une des réponses aux questions que pose Anne Soupa réside dans des pratiques de prise de décision qui refusent l'exercice solitaire mais nouent des regards et des paroles diverses. L'évêque, ou le ministre ordonné, y prend sa place bien entendu, mais jamais seul, toujours en permettant le temps et les méthodes conduisant à chercher l'accord du plus grand nombre. Dans de tels processus, chacun doit y avoir toute sa place, ministres ordonnés, fidèles laïcs, et donc hommes et femmes, surtout les communautés chrétiennes.
Cela ne peut cependant seul honorer les questions posées. Parmi celles-ci, je perçois celle qui interroge la reconnaissance de l'état d'adulte dans la foi, qui que l'on soit, quant aux ministères, aux missions, au sexe. L'exercice d'un rôle de décision, relevant du ministère épiscopal, auquel sont associés des prêtres, ne peut dispenser d'ap- peler et de former à d'autres ministères pour I'Eglise. Des hommes et des femmes reçoivent - recevraient - des ministères de charité, de prédication, de présidence de la prière commune, non par mode de suppléance mais de plein droit, non par délégation mais au vu d'aptitudes, dont la communauté doit d'abord être le témoin, non dans la subordination mais dans une pleine et complète responsabilité. De telles pratiques, qui ne sont pas sans déjà exister, conduisent, mais devraient davantage le faire, à relire le mninistère apostolique des évèques, auxquels j'asso cie les prêtres célibataires, à la lumière des Actes des Apôtres et des Lettres des Apôtres, pour qu'il s'exprime d'abord dans l'itinérance, la fondation, l'innovation.

Ce dont il s'agit, c'est de marcher ensemble, de travailler ensemble. Les uns avec les autres. Les lieux de la parole doivent dès lors être communs. Rien de pire que d'ima- giner un bicamérisme religieux, avec une assemblée des laics qui ferait nombre avec l'assemblée des évêques. C'est dans la même assemblée, parfois unie, parfois avec des temps de travail spécifiques, que lon doit discerner ce qui est juste, le décider et engager sa mise en aœuvre. Un tel choix doit s'exprimer à tous les niveaux de I'Eglise catholique. On ne retire rien aux charismes, aux compétences, aux missions, ni même aux responsabilités, mais on les articule. Oui, l'Église c'est le peuple de Dieu, ainsi que l'a fortement souligné le concile Vatican II, un peuple où les uns ne sont jamais sans les autres, les évêques jamais sans li es autres baptisés, fidèles, prêtres, diacres, autres ministères, consacrés, etc. L'Esprit Saint, qui est le maître des coeurs, est donné pareillement à chacun, et même hors des frontières visibles des Églises !

Changer I'Église ? Plutôt changer ses modes d'organisation et de gouvernance, interroger ses lieux de décision. Ou'avons-nous à perdre si ce n'est du pouvoir ! Qu'aurions- nous à gagner ? Un meilleur service des frères et de Dieu. Pour moi, le choix est vite fait! Un tel changement n'ouvre- t-il cependant pas la voie à d'autres formes de pouvoir, par des laics cléricalisés ? Oui, si aucun contrôle ne s'exerce, si les mêmes sont à la fois législateurs et juges, s'il n'y a aucune séparation des pouvoirs. Les sociétés démocratiques dans lesquelles nous sommes, je pense ici en Français et en Européen, nous montrent des modalités, certes imparfaites, mais qui limitent les dérives toujours possibles. Sil faut se féliciter du choix de l'empereur Constantin qui mit fin aux persécutions, nous pouvons adopter un autre modèle que celui de Théodose qui fit du christianisme une religion d'État et conduisit celui-ci à penser que, pour exister et exercer sa mission, il devait être une institution identique aux autres. Mon propos ne remet pas en cause, selon moi, l'essentiel de la foi chrétienne, autrement dit le dogme.II entend plutôt le servir et mieux rendre compte de Dieu tel qu'il est révélé dans la Bible, un Dieu qui nest jamais celui du nombre et de la puissance. Lorsqu'lsraël succombe à cette tentation, il est immanquablement puni - ainsi le roi David qui, pour compter ses succès, fait dénombrer le peuple, oubliant qu'il n'est qu'un intendant et qu'lsraël n'a dans lesquelles n'a qu'un seul roi, son Dieu.

La Bible n’a rien à craindre d’un travail de raison et de critique… Penser que « prier suffit », c’est verser dans la religiosité, voire dans la pensée magique.

À travers ces propos, ai-je la volonté de changer l'Église catholique? Oui, parce que nous mesurons des dysfonctionnements, mais aussi des insatisfactions, tant chez les prêtres et les évêques que chez les fidèles. Beaucoup ont un sentiment de plus en plus fort d'ètre ailleurs qu'en leur lieu. Je sais que ce sentiment est partagé avec les personnes qui exercent des "métiers de vocation". Enseignants, soignants, d'autres aussi disent de moins en moins exercer le coeur de leur métier pour surtout consacrer leur temps à des procédures qui ne font que se multiplier (...)
Si je n'ai pas le pouvoir de changer l'exercice de tous les métiers, ma voix et mes choix peuvent contribuer à envisager que l'on puisse vivre différemment sa mission de prêtre ou d'évêque.

Plus que le célibat, ce sont les conditions concrètes de vie des prêtres qui entretiennent des attitudes infantiles, qui ne se confrontent pas à la réalité d’une vie d’adulte, qui doit gagner sa vie, rendre compte, établir un budget, s’y tenir, et avant tout partager quotidiennement sa vie avec une personne qui objecte à ses désirs sa propre existence; n’est-ce pas cela la vie de couple? Combien demeurent de grands enfants ? Puis deviennent de vieux garçons ?

Un désir qui n’est pas écouté, regardé, ni même confronté à la raison peut conduire à toute forme de dérive.