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Citation de Charybde2


la nuit revenaient les couplets bouleversants d’une chanson du pays filtrat de la cellule voisine et malgré les sbires menaçants les deux incarcérés rivés à leurs barreaux de fenêtre parvenaient à échanger quelques paroles réconfortantes en un langage crypté fait de dialectes et de mots inventés jungle verbale isolant leur sphère
cette solitude uniforme – pire supplice que la réclusion corporelle – de la parole désirée pourtant interdite affolait le prisonnier il était incapable de résister à la tentation de laisser échapper quelques mots des lèvres de la langue de la gorge des poumons ou du colon au besoin de remplir de sens son carcan d’émettre une voix contre le lamenta des murs d’insuffler une parole maternelle tout contre la barrière de langue étrangère le langage – prison adorée – était la limite de son atlas le réduire à néant revenait à anéantir ce monde engloutir la rivière parole par ses pertes
voilà pourquoi il ne pouvait promettre au gardien Schiller de garder le silence il ne pouvait donner sa parole de ne pas parler ni la tenir il ne pouvait se soumettre à être muré vivant dans le silence et si son voisin en venait à s’enfoncer dans le mutisme sa parole se destinerait aux minuscules silhouettes cloîtrées dans leur contrée même si elles n’entendaient que malentendu mésentente malparler incompréhension crainte que du Spielberg l’on se jouât d’elles en fomentant quelque plan d’évasion sinon s’adresserait aux hirondelles fonçant en piqué sur les briques du rempart ou à celles posées sur les pointes de grillages ou bien les krkavec la nuit les pustik ou ce couple de volavka popelavá circonvolant au-dessus de la cellule sinon aux charmes ou aux tilleuls ou aux troncs de hêtres plein d’yeux cicatrisés en dernier recours sinon aux six barreaux de sa fenêtre il fallait parler pour que les pensées puissent voler librement tout dire plutôt que parler à soi-même se coudre la bêche se taper la tête contre les murs la folie aurait été de parler tout seul maladie-du-narré programmée
et si les pierres parlent comment en traduire le sens ?
der Teufel vous le diable répond le vieux Schiller ne voulez-vous donc pas promettre ? et il jette sur la terre battue le trousseau de clefs ses yeux rougis se mouillent et il vient embrasser son prisonnier – aux mains de l’ami – qui ramassant les clefs maintient celle de son évasion tendue dignement vers Schiller pour la lui confier car l’évadé ne recherche pas une échappatoire dans la rhétorique se faire la belle c’est trouver la faille dans la langue de l’ordre alors parlez plus doucement entre vous pour m’épargner les réprimandes évitez d’irriter qui peut punir et le vieillard dont la fortune s’était jouée de lui en lui donnant nom d’un grand poète se retire rentrant chez lui en reclus laissant à son sort l’ombre d’un pantalon de couleurs grise à droite capucine à gauche un justaucorps selon le même principe un pourpoint aux couleurs identiques quoiqu’inversées des bottines en cuir brut à lacets sans parler d’une chaîne liant une jambe à l’autre dont les anneaux sont clos par un clou rivé sur l’enclume le 303 avait en tête cette phrase récurrente d’une mère bavarde comme une pie. Le pire encore serait qu’on m’empêche de parler
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