Je suis un historien, donc je sais très bien qu'on ne revient jamais en arrière. Je n'ai aucune espèce de désir de retourner à la vie du Moyen Âge. Je n'ai jamais été réactionnaire mais je voudrais que l'on échappe à une sorte de mythe du progrès. Il n'apparaît pas évident que l'homme d'aujourd'hui soit plus intelligent, plus évolué, plus moral que le Grec du Ve siècle avant Jésus-Christ. La question que je me suis posée est de savoir si les instruments techniques permettent une évolution positive de l'homme ou s'ils la bloquent ? […]
Je ne me méfie pas de l'appareil technique en soi mais des réactions de l'homme lorsqu'il détient des instruments d'une trop grande puissance. Il faut dépasser le stade technique où nous sommes arrivés et découvrir les nouvelles formes sociales et les moyens techniques rétablissant un ordre viable.
“Vous jouez volontiers sur deux registres : théologique et sociopolitique. Vos ouvrages se répondent et traduisent souvent une analyse identique appliquée à un champ différent : c'est le cas, par exemple, de Politique de Dieu, politique des hommes, publié un an après L'Illusion politique. Peut-on prendre en compte une dimension de votre oeuvre au détriment de l'autre ?
Chaque fois, il manquera un élément. Si vous en prenez en compte que la dimension théologique, il vous manquera l'élément d'incarnation. Si vous vous intéressez uniquement à la dimension sociopolitique, vous buterez constamment sur une absence de réponse ou d'ouverture. En réalité, comme me l'a dit très justement un de mes lecteurs, je n'ai pas écrit des livres, mais un seul livre dont chacun est un chapitre. C'est un pari un peu démentiel de croire qu'il y aura des lecteurs assez patients pour voir comment mes trente-six ouvrages s'emboîtent les uns dans les autres.
Sans Dieu, votre oeuvre a-t-elle encore un sens ?
Sans Dieu, elle aurait un sens éminemment tragique. Elle conduirait à la réponse de Gary : le suicide. Je décris un monde sans issue, avec la conviction que Dieu accompagne l'homme dans toute son histoire.
Vous savez que vous avez des lecteurs athées ?
Oui, mais je pense que ce que je peux dire du christianisme est accessible en dehors d'une foi confessée. C'est-à-dire que la dimension de l'espérance me paraît transmissible, même s'il n'y a pas une référence au Dieu révélé. L'espérance est le lien entre les deux parties de ce que j'écris, qui se correspondent dans une sorte de jeu dialectique dont l'espérance est le point de crise et l'issue.