Enfoncé dans une courte banquette au velours élimé d’où s’échappaient, à chacun de ses mouvements, des relents aigrelets, il reprit son demi posé sur une table basse.
Deux piliers soutenant, à deux mètres du sol, une rampe de projecteurs, l’empêchaient d’un côté d’entrevoir l’escalier rejoignant la sortie, de l’autre le caissier – son employeur du soir – qui quelques jours avant s’était appesanti sur ce que recouvrait son rôle de directeur artistique.
Il fallait que quelqu’un put sentir tout l’amour mais peut-être également la haine qu’en cet instant elle éprouvait pour lui.
Il ne s’était soucié de personne à part lui depuis le moment où songeant qu’il devait se couper de tout et de tout le monde pour atteindre quelque chose sur le plan artistique, il s’était installé dans cette chambre de bonne. D’avoir cru qu’un espace pareil à une cellule le pousserait à chercher davantage en lui-même matière à se forger un jeu identifiable lui semblait à présent d’autant plus dérisoire qu’il avait moins passé de temps à travailler son instrument qu’ à se lamenter sur son sort.
Surplombant les fumées d’une rangée de filets de poisson rissolant dans une huile turbulente et rancie, le cuistot met la main sur un large couvercle puis se tourne vers elle. Ses bajoues glabres et molles dont le teint blême évoque quelque viande bouillie se soulèvent au sourire qu’il lui adresse. Une ceinture rentrée dans le gras de son ventre parait couper en deux son grand corps affaissé.
Une boule à facettes mouchetait le sol de ronds jaunes ou verdâtres selon qu’elle réfractait la lumière de la salle abritant un billard, ou celle de deux spots tournés vers le couloir qui menait aux toilettes.