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Critiques de Patrick Rozenblatt (1)
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Razzia sur le travail

Analyses des rapports de travail non réduits aux rapports à l’emploi



Derrière des a priori, la nécessité toujours de faire la critique des rapports sociaux, d’en souligner les contradictions, de refuser le « naturel » ou l’évident, de traquer les bipartitions qui masquent le plus souvent les rapports de domination et/ou la division sociale du travail.



D’un coté l’emploi, les politiques déployées pour soit-disant en améliorer le niveau ; de l’autre, presque totalement éclipsé, le travail, son analyse, les rapports qu’il produit, et ceux qu’il entretient avec l’emploi…



Patrick Rozenblatt explique le terme « invalorisation » comme non-valorisation et plus précisément comme « disparition magique de la valeur », le terme « emploi » comme « relation contractuelle qui enregistre un échange constatant une mise à disposition d’une capacité d’activité au regard d’une rémunération, et d’éventuels avantages en nature, dans un cadre normé par l’existence d’un droit social », le « travail » qui ne peut être restreint aux « descriptions technico-organisationnelles et administratives de l’activité ».



L’auteur souligne, entre autres, la cristallisation des rapports sociaux, « les processus abstraits de socialisation qui produisent l’agir subordonné », les processus d’externalisation de l’emploi, le « hors-travail », le travail fait sous statut de stagiaire, les liens entre formation et production, la captage et l’intégration de l’intelligence dans les processus d’organisation, les formes de concurrences entre individu-e-s, le « gratuit » c’est à dire le travail non rémunéré… « … une grande partie du travail productif et créateur de richesses échappe au contrat et à l’emploi tels que les organise le code du travail, tout en contribuant à l’apprentissage d’un agir subordonné… »



Que devient ce travail lorsqu’il ne donne plus lieu à un emploi dans les entreprises ? L’auteur se propose de répondre en explorant « les processus d’invalorisation du travail mis à l’oeuvre dans de multiples espaces ». Je signale, pour celles et ceux qui appréhenderaient un ton doctoral ou un jargon sociologique, qu’elles et ils trouveront ici de multiples éléments d’humour, des pratiques et des situations connues (et qui les ont fait probablement pester), des éclairages de beaux et mensongers discours, des quotidiens remis un peu la tête à l’endroit…



L’inventivité capitaliste à la croissance de l’accumulation d’une part et à la dépossession du plus grand nombre d’autre part, s’appuie aujourd’hui sur la « liberté » du consommateur et de la consommatrice, sur des « ludiques » activités encadrées par des protocoles très contraignants, sur des faire gratuits mais dans des conditions d’être subordonné – sans la protection d’un code du travail établissant le rapport asymétrique liant la/le salarié-e subordonné-e et le propriétaire des moyens de production.



Il faut donc connaître et comprendre ces nouveaux rouages, reprendre les « lectures critiques des rapports d’exploitation du travail », ne jamais oublier les rapports d’exploitation et de domination.



Patrick Rozenblatt analyse, entre autres, la mise en activité de la force de travail d’un-e individu-e, les contraintes de normes établies, la contribution à la valeur ajoutée (création de richesse en terme comptable), le dans et hors contrat de travail, l’invention du self-service, les économies en termes de temps et de coûts, les représentations vantant la liberté de celles et ceux qui sont contraintes à faire (« la participation directe au processus de valorisation »), la puissance « des représentations illusoires diffusées par la fée publicité », l’incorporation des innovations technologiques aux procès de production, la différence entre objet automatisé et mutation de société, les logiques de « flexibilité comportementales et de soumission aux injonctions organisationnelles », les lieux où se font les « mises en commun », l’éducation ludique à la consommation…



Il aborde aussi la « chimère du plein emploi » (j’ajoute : qui ne tenait pas compte de la place d’une partie des femmes hors du travail salarié), la vision taylorienne de l’organisation du travail, la vision fayoliste et l’assujettissement de chacun-e « à respecter un rapport strict de subordination », la dévalorisation du travail des femmes, le pouvoir du propriétaire « à gérer comme il l’entend », les attaques contre le salariat, la monétarisation des licenciements, les « discours falbalas sur le retour de la « croissance » et du « plein-emploi ». »



J’ai notamment été intéressé par les passages sur l’apprentissage ludique, l’acculturation quotidienne, (sans partager « le dressage à la soumission »), les injonctions productives, les formes contemporaines d’expropriation, ce que nous semblons gagner en liberté… et les réalités de l’organisation de type chaine de montage, les rapports bureaucratiques, « Dorénavant notre quotidien est palpablement digitalisé et peut faire naître l’illusion que ces outils sont porteurs d’une possible émancipation des procédures bureaucratiques et des enfermements temporels qui peuplent nos organisation sociales »…



L’auteur rappelle qu’il ne peut y avoir de procès de travail sans coordination, que l’emploi n’est jamais la totalité du processus accompli et reconnu, que la complexité des rapports sociaux ne se réduit pas au visible, que le rapport salarial est un rapport d’exploitation. Les retours sur les travaux de Pierre Naville et Jean-Marie Vincent me semblent importants.



Je souligne particulièrement le chapitre 4 « L’expansion du travail invalorisé à l’ère du numérique et du digital », le décryptage des discours de l’opérateur téléphonique Orange, les contes sur la/la client-e, le travail déclaré en auto-entrepreneur, les zones de non-droit, les différents statuts juridiques de « nomades », les formes renouvelées de la surveillance managériales, la « lean » rémunération…



En conclusion, l’auteur revient sur l’histoire conflictuelle qui lie capital et travail, la valeur produite par le « travailleur·e collectif », les visions mutilantes et aliénantes de la soit-disant fin du travail, les procès d’externalisation du travail au seul profit du capital, les ramifications de la division sociale du travail…



Patrick Rozenblatt ne fait pas qu’analyser de nouvelles formes de mise en travail subordonné. Il ouvre quelque pistes d’alternative émancipatrices basées sur des ferments, des déjà ici, de révolution des rapports sociaux (« contrôle ouvrier » sur la production, autogestion généralisée, figures collectives, etc.), sur ces clôtures qu’il faut briser pour penser ensemble ce qui nous rapproche…



Pour finir, je fais un pas de coté. Les exemples fournis concernent, dans leur très grande majorité, la sphère de la distribution de produits fabriqués (en d’autres lieux). Exprimé dans le vocabulaire de la critique de l’économie politique marxienne, il s’agit donc de la sphère de circulation ou de réalisation de la plus-value ; sphère dans laquelle il n’y a pas à proprement parler création de valeur – sauf dans le cas du secteur de la restauration rapide relevant, en partie, de la production. Il conviendrait donc d’intégrer la « critique de l’invalorisation du travail » à la critique de l’économie politique. Un nouvel enrichissement sur le travail, comme le fut celui sur le travail domestique, n’en déplaisent à certain-e-s marxistes…






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