— Un lieu hanté ! Un sol imbibé de sang ! Des maisons et des manoirs bâtis
sur la sueur des paysans ! Des cimetières emplis de cadavres dont les âmes
réclament vengeance à Dieu ! Un abîme de ténèbres à la terre assez fertile pour qu’y
fructifient un millier d’arbres de Judée !
C’est ainsi que le prêcheur qui parcourait les rues de Londres à l’automne 1380 avait
décrit la cité.
— La putain de Babylone ! avait-il tonné du haut de l’escalier de Cheapside. Le
repaire du Grand Dragon ! Les habitants n’ont-ils pas aperçu Satan et tous ses
séraphins déchus s’élevant comme de sombres nuées, des volutes de fumée, audessus
des champs de bataille spirituels, vers les cieux de la ville ?
Le prédicateur avait la bouche pleine de ces sentences bien senties. Ses
paroles avaient pourtant peu d’impact sur les Londoniens et moins encore sur les
hommes de la flotte royale, qui, revenant à peine de patrouiller en Manche et en mer
d’Irlande, avaient jeté l’ancre le long des différents quais de la Tamise. Les marins
pullulaient à terre, remplissant tavernes et rues de leurs cris rauques et de leurs
débordements. Dégoûté, le prêcheur avait ôté ses sandales et en avait secoué la
poussière pour bien montrer que sa tâche était achevée. Il voulait n’avoir plus rien à
faire avec la population de cette nouvelle Babylone.