Nous ne possédons même pas de Sénèque ce qu'on peut proprement appeler une correspondance. Certes les lettres adressées à Lucilius ont un accent de sincérité si prenant qu'elles ont plus fait pour la bonne réputation du philosophe que tous ses autres ouvrages mis ensemble... Mais quand on y regarde d'un peu près, on constate aisément qu'elles ne constituent pas une correspondance dans le sens que nous attachons ordinairement à ce mot. Il leur manque pour cela d'avoir été écrites au hasard des circonstances et d'avoir été éditées telles quelles, sans remaniements notables ni groupement préconçu. Il leur manque surtout de parler d'autre chose que de morale, ou plutôt — car il arrive souvent à Sénèque de gagner son but par des chemins détournés — d'être parfois exclusivement consacrées à autre chose qu'à de la morale. Ce sont bien des Epistulae morales et non des lettres. Nous avons la correspondance de Cicéron, celle de Pline le Jeune, d'autres encore; nous n'avons pas celle de Sénèque.
Mais, qu'ils soient des anciens ou des modernes, bien peu d'entre ceux qui ont parlé de Sénèque se sont bornés à n'énoncer que des faits sans y impliquer de jugements. Même de son vivant, Sénèque a eu des admirateurs enthousiastes et des détracteurs décidés. Aujourd'hui encore, après un siècle de philologie sereine, on n'en peut aborder l'étude sans le secret et anticipatif désir de s'attacher à lui plus étroitement ou de se libérer de la contrainte morale qu'exerce son vieux prestige.
Dans sa retraite, alors qu'il se faisait vieux, Sénèque, au fond déçu et attristé, n'a pas entrepris de reconstituer le cours écoulé de son existence accidentée et laborieuse. Il n'a pas rapporté, même à sa façon sans proprement faire oeuvre d'historien, tels événements essentiels auxquels il avait été mêlé, soit qu'il eût voulu se justifier aux yeux de la postérité, soit plus simplement qu'il eût cherché à intéresser ses contemporains ou une génération nouvelle à des faits importants.