Paul Fortune

Nous avons découvert à Paris, pour notre malheur, l'endroit qu'on appelle la colline du crack. C'est une butte, à peine un talus le long du boulevard périphérique, sur laquelle se regroupe la pire engeance qui soit. On n'y trouve que des individus hagards, hébétés, au cerveau ravagé par la drogue et dont toute la vie se passe à chercher le produit qui leur fera oublier le manque. On croirait réellement des morts-vivants qui errent en haillons, crasseux à l'extrême. Cet endroit terrible est la pire chose que j'ai vue depuis notre arrivée à Paris. On y trouve des gens réduits à la mendicité et à la folie. Il est bien triste de quitter nos pays et notre pauvreté qui ont au moins l'avantage du soleil pour atterrir sur le dur et froid asphalte de Paris et sombrer dans une terrible misère. J'y vois nombre de nos frères pour qui le grand voyage vers l'Europe se solde par un pathétique échec.

On me demanda si je ressentais l'insupportable oppression néocoloniale dans mon village, et si le racisme systémique qui sévissait en France ne me pesait pas trop. Je leur répondis que la seule oppression coloniale que j'avais eu à subir était celle de nos ennemis du Ouaquanda du Sud et que j'avais personnellement participé à un raid fameux pour incendier un de leurs villages, ce qui déclencha chez eux une sorte de malaise. Quant au racisme de la France, j'avouai ingénument que les seuls qui m'avaient jusqu'ici mal traité étaient plutôt les bandes d'autres migrants qui se regroupent par nationalité ou ethnie d'origine et entre lesquelles les conflits ne sont pas rares ; je mentionnai la haine toute particulière que certains de nos frères Africains vouent aux Arabes à qui ils reprochent aujourd'hui comme jadis de les réduire en esclavage.

Au moment de nous quitter les convives m'assurèrent une nouvelle fois de leur soutien et me souhaitèrent toute la réussite possible, en réaffirmant à nouveau leur total engagement moral en faveur des damnés de la terre qui venaient ici chercher une existence meilleure, ce qui était leur droit le plus strict. Durant tout le repas nous avions été servis par une femme originaire d'un pays lointain appelé îles Philippines. Elle n'avait dit un seul mot et ne semblait pas autorisée à le faire. Elle nous apporta nos manteaux mais se trompa. La maîtresse de maison la reprit sèchement et lui ordonna de disparaître, puis en guise d'excuses à notre égard expliqua qu'il était difficile de trouver des gens compétents et que cette femme était quelque peu idiote mais qu'elle hésitait à s'en séparer.