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Citation de Partemps


Papemoë[1]
I
Le grand Arbre autrefois fier de sa frondaison,
L’Arbre mort maintenant, vert seulement de lierre
Jette d’un geste aigu l’ombre inhospitalière
D’un écueil sur la mer de glèbe et de gazon.

Ô matin ! L’Amour darde ses traits de lumière
À un hommes endormie parmi la fenaison
Et la voix des enfants enchante la clairière
Mais l’Arbre humilié désole l’horizon.

Chant des oiseaux et leur rythmique ondoiement d’ailes !
Hymne du moissonneur aux semences fidèles !
Tout est beauté, tout est bonté, tout est clarté ;
Le ciel rit doucement à la plaine infinie
D’où monte comme un vaste arôme d’harmonie
Mais l’Arbre mort se dresse, et tout est dévasté.

II
Par ici, bûcheron, avec ta hache claire !
Viens accomplir l’œuvre d’amour et de colère !

Avec l’amour et la colère de l’acier
Frappe au pied le grand Arbre, ô jeune justicier !

Avec l’assentiment des Dieux et de ta force
Abats le géant mort sous sa stérile écorce !

Brise les rameaux secs ! Romps les flancs vermoulus !
Frappe le coup suprême au cœur qui ne bat plus !

Éblouis du plein jour la foule ténébreuse
Des démons accroupis dans la carcasse creuse !
Ils jetteront sur toi des cris horribles : ris,
Car un Dieu est dans ta main droite, de leurs cris !

Et s’ils prennent pour attendrir des voix touchantes
Poursuis ta tâche et plus haut gueux toi-même chante !

Avec l’amour et la colère de l’acier
Détruis l’Arbre funste, ô jeune justicier !

Et que l’infini vibre et que le ciel s’atteste
Au vaste et circulaire élan bleu de ton geste !

III
Au premier coup que triste on entendit gémir
Dans l’Arbre de passe la voix du souvenir
Vibrant du loin des jours à l’émoi des murmures !
Et que pâlit la nue à travers les ramures
S’entrechoquant comme des bras décharnes, noirs,
Dans la folie et la fureur du désespoir !
Et que perdit l’éclat gai de sa robe verte
Le gazon où tombait la multitude inerte
Des menus rameaux morts, au premier choc brisés !
De pesants relents soudain volatilisés
Chargeaient l’air, et dans le ciel s’éveillait forage.

Mais le bûcheron bûcheronnait avec rage,
Une chanson légère aux dents et une fleur,
Et sa hache était, dans la surhumaine ampleur
De l’effort, l’aile d’un ange qui font des nues.

Du faîte jusqu’en les profondeurs inconnues
Où son orgueil des anciens temps fut implanté
Tout l’Arbre frémissait sous les coups répétés.

Ce n’était maintenant dans le mort titanique
Que l’unique rumeur pathétique et panique
Du million de cris des monstres dont ses flancs
Se peuplèrent et qui dardaient leurs yeux sanglants,
Avec des plaintes et des menaces rugies,
À l’entaille toujours par la hache élargie.

Cris rauques de la haine, aigres cris de la peur :

Malheur ! Meure le profanateur !
C’est ici notre empire et la Nuit.
Arrière ! Nous sommes ce qu’on fuit,
Les vers nourris de sang corrompu,
Gorgés toujours et jamais repus,
Les désirs rampants au fond des cœurs,
Tout ce qu’on cache et tout ce qu’on fuit,
Les larves obscènes de la Nuit,
Toute la Haine et toute la Peur,
Tout ce qu’on fuit et tout ce qu’on cache !
Arrière ! Arrière ! Épargne l’horreur
Du soleil aux larves de la Nuit !
Crains-nous, la Haine ! Crains-nous, la Peur !
Malheur ! Meure le profanateur !

Et des griffes grinçaient sur l’acier de la hache.
Mais le bûcheron bûcheronnait sans rien voir,
Sans rien entemlre, simple et faisant son devoir.

Soudain cessèrent les cris et, magicienne,
Une voix seule, belle en sa grâce ancienne,
Délicieusement, mélancoliquement,
Chanta ces vers sure un rythme triste et charmant :

Je fus touché par les années
Avant que par ta main cruelle !
Vois : les sévères destinées
M’ont meurtri de leurs fortes ailes.

Vois : la fin de l’Arbre est prochaine
Et le crime était inutile,
Vois : c’est un mourant que ta haine,
Enfant sacrilège, mutile.

Vois ! la pitié du temps oublie
Le vieux, l’unique, le suprême
Témoin de forêts abolies :
Ô fils de l’aube, fais de même !

J’étais la bonté de la terre
Aux jours heureux : de tes ancêtres,
Écoute le vieux solitaire
Demander grâce aux nouveaux maîtres

Écoute et vois : mille ans de gloire
Consacrent mes tremblante branches.
Respecte les ramures noires
Comme les chevelures blanches.

Tes pères à mon ombre auguste
Sont nés. Jeune homme à la main rude,
Du fond de leur tombeau ces justes
Maudissent ton ingratitude.

Mon abri leur fut tutélaire
Quand les nuages étaient sombres ;
Dans la chaleur des heures claires
Ils aimaient dormir à mon ombre.

L’amour y commença le rêve
Que la science y vint poursuivre
Et c’est aux sources de ma sève
Qu’ils ont bu l’ivresse de vivre.

Car l’homme à l’arbre qu’il torture
Doit la paix, la force et la joie.
C’est moi le mât et la toiture !
C’est moi dans l’âtre qui flamboie !

J’attire sur moi la tempête
Et, Muse tour à tour et Mire,
J’inspire les chants du poëte
Et fait guérit que je respire.

Le vent dans ma tête sonore
A rendu d’illustres oracles,
Et le crépuscule et l’aurore
Y font encore leurs miracles.

Sonne l’heure, soit ! je succombe.
Mais je veux une fin sublime :
Les Dieux m’ont destine pour tombe,
Creuse par la foudre, un abîme !

La Hache se levant et retombant toujours
Répondait gravement à coups égaux et lourds :

Périsse la Mort et vive la Vie !
Non pas la pitié, mais l’horreur t’oublie :
Retourne à la nuit, messager d’effroi,
Car l’odeur du mal émane de toi.

Car tu n’as plus rien de l’aïeul splendide
Qui verdoyait clair sur le ciel limpide,
Debout dans sa grâce et dans sa vigueur,
Somptueux bouquet d’une seule fleur.

On le vénérait, lui, l’Ancien, le Sage !
Ses rameaux puissants, sur le passage
À leur ombre sûre au loin abrité,
Avec la fraicheur versaient la bonté.

Quel Dieu malfaisant, par quelle nuit morne
Dressa ton opprobre, ó fatale borne
Que la peur signale et signe le deuil,
Aux lieux où fleurit tant de juste orgueil ?

Il ne sort de toi que bruits de mensonges.
Des exhalaisons putrides de songes

Empoisonnent l’air que tu respiras.
La haine et la peur ont crispé tes bras.

La haine et la peur suintent dans tes plaies.
Tu blesses le jour et tu nous effraies
Comme une menace et comme un affront
Dont nous portons tous le stigmate au front.

Périsse la Mort et vive la Vie !
Tu tins trop longtemps la plaine asservie
À l’autorité d’un passé nié
Par ton propre spectre, Arbre humilié.

On tremble à ton ombre, à ton ombre on n’ose
Pas vivre, l’homme est devenu morose,
L’amante mendie en vain des baisers
Et les frères ont été divisés.

Et plusieurs ont clos leur maison, se crainte
Que ton ombre entrât par ta porte sainte
Et soufflât la mort sur les purs flambeau :
Que l’amour allume entre les berceaux.

Tu ne tiens debout que par l’artifice
Des démons, ô leur funeste complice,
Qui vont aiguiser, la nuit, s’évadant,
Sur l’enfant qui dort leur griffe et leur dent.

Mais moi, pénétrant dans ta pourriture,
Je délivrerai l’homme et la nature
De l’Arbre stérile et des vils esprits.
Le mort et le mal sont en toi : péris !

Afin que l’espoir dans les cœurs renaisse !
Afin qu’il y ait une autre jeunesse,
De nouvelles fleurs, encore un été,
Et que l’Amour règne avec la Beauté !

Périsse la Mort et vive la vie !
Je frappe et je suis sourde. Pleure, crie,
L’œuvre est faite ! L’aube a vaincu la nuit
Et l’Arbre de la Science est détruit.
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