Un drame en montagne n'a rien de bien différent d'un accident de la circulation : il y a des circonstances, des victimes, des témoins épars et des secours qui s'organisent dans l'urgence. Mais le terrain d'aventure échappe à la justice des hommes.
Les meilleures garanties de survie en Himalaya sont l'autonomie et la rapidité. Dans ce périmètre ultime que les alpinistes appellent la "zone de la mort", l'organisme s'épuise inexorablement, victime du manque d'oxygène et du stress. Ni le sommeil ni le repos ne sont plus réparateurs. Traîner est la pire des choses. En cas de problème, les corps sont poussés au-delà de telles limites qu'il devient difficile d'assurer le sauvetage d'un autre que soi.
Au K2, la mort n'est pas un concept. Elle guette, sûre de s'abattre. La "montagne des montagnes" concentre toutes les occasions : avalanches, tempêtes, verticales, éboulements, crevasses, épuisement, hypothermie, hypoxie, stress organique... Statistiquement, un alpiniste sur quatre sait qu'il ne reviendra pas du sommet !
Au niveau de la mer, les poumons évacuent un demi-litre par jour, la vessie près d'un litre et demi, et les deux mètres carrés de peau aux alentours d'un demi-litre également. A 5 000 mètres, tout s'accélère : la respiration évaporé deux litres et demi, les urines un lit et la transpiration, même inapparente, un litre et demi.
À ce niveau d'engagement, l'alpinisme est une joute solitaire plus qu'un combat livré aux éléments, une introspection plus qu'une exploration de territoires vierges. Ceux qui s'en sortent ne sont ni des héros ni des surhommes. Ils sont seulement revenus vivants du fond d'eux-mêmes.
La montagne est devenue étrangère et hostile et nous nous sentons immensément fragiles, raconte Bonatti. Je n'ai jamais perçu avec une telle intensité la force du K2 et de tout cet Himalaya qui m'entoure. Depuis une vingtaine de jours, je vis dans la zone de la mort, mais c'est seulement maintenant que l'ivresse des 8 000 mètres est en train de s'emparer de moi. Je crois que j'ai peur.