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Citation de Cannetille


Au-delà de l’emprise du marketing sur son métier et des changements radicaux induits par les nouveaux usages numériques, un sujet le souciait particulièrement : les clefs de compréhension de la peinture se perdaient. Les grands thèmes des œuvres peints, sacrés et profanes, s’éloignaient inéluctablement des préoccupations de ses contemporains. La plupart des allégories et des figures antiques représentées demeuraient un mystère, mais un mystère ennuyeux qui ne valait pas la peine d’une recherche Wikipédia. Rares étaient ceux qui savaient encore qui étaient les Horaces, et quelle était la nature de leur serment. Sondage après sondage, l’athéisme gagnait des parts du grand marché des religions et de plus en plus les guides devaient expliquer aux groupes scolaires qui était saint Jean-Baptiste, parfois même Jésus et Marie. Quantité de références n’étaient plus perçues. Et au même titre qu’Aurélien n’avait jamais été touché par l’art des pharaons dont il ne comprenait ni la cosmogonie ni les rites, il voyait bien que ses contemporains peinaient à dépasser une appréciation purement esthétique de la peinture, et que dans la plupart des cas, les œuvres, si belles soient-elles, demeuraient dépourvues de sens. C’est comme si un peu cet art-là, le sien, perdait son pouvoir d’expliquer le monde.
On lui rétorquait qu’il ne fallait pas être alarmiste ; quatre cents ans avant Jésus-Christ, Socrate déplorait aussi le délitement de la société. Si les gens ne savaient plus lire les chiffres romains, ce n’était pas bien grave, on les remplacerait par des chiffres arabes. On rallongerait les cartels pour donner davantage de contexte. Des applications sur smartphone faisait un travail didactique remarquable. Sur les réseaux, les influenceurs offraient de nouvelles possibilités de médiation et s’adressaient à un large public. On n’allait pas regretter le latin non plus. C’était la marche du monde.
Pourtant, cette évolution l’affectait. Il se sentait moins l’envie de transmettre, comme sil n’avait plus les outils pour toucher les gens. Et puis, si cela ne suffisait pas, un regard nouveau se posait sur le musée, un regard qui n’y voyait qu’une succession de viols et de persécution des minorités, d’oppression patriarcale, de male gaze. Il ne niait pas le rôle de l’art dans la perpétuation du système dominant, il ne réfutait pas sa portée idéologique, bien souvent au service des puissants, mais il faisait la part des choses. Il n’éprouvait pas le besoin de réparation. C’étaient d’autres temps. Malgré lui, le musée devenait le terrain de luttes politiques qu’il maîtrisait mal.
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