Un jour, une infirmière qui regardait par la fenêtre s’éloigner une voiture de pompes funèbres, qui emmenait le corps d’un patient défunt, s’exclama devant moi : « Heureusement que ça se passe en cachette, sans que personne ne le voie ! » Pour elle, l’extrême discrétion de ce départ du corps était une bonne chose. La mort nous gêne. Qu’il s’agisse du fait de mourir ou des relations avec le défunt, la mort est devenue particulièrement discrète et c’est un fait nouveau. Les historiens et les anthropologues ont mis en évidence le saisissant renversement qui s’est produit à ce sujet en Occident. Le mourant et le défunt ont occupé au contraire une place de choix dans nos mentalités, nos vies, nos discours, nos représentations et ils ont perdu cette place.
Les rituels entourant le mourant, les visites, le deuil, les diverses formes du souvenir marquaient notre proximité avec la mort. C’est surtout au Moyen Âge que la mort se présente sous l’aspect d’une simplicité familière qu’a si bien décrite Philippe Ariès, mais cette proximité traverse les siècles.
La psychiatre américaine Elisabeth Kübler-Ross, qui a attaqué le tabou de la médecine sur les conditions de la mort médicalisée, d’abord auprès de ses étudiants, puis auprès de l’opinion, fait figure de pionnière. Quant au médecin britannique Cicely Saunders, fondatrice du mouvement des soins palliatifs, elle a mis au premier plan le traitement de la douleur dans les états terminaux. Ces deux personnalités de renommée internationale ont eu une influence réelle sur les pratiques. Depuis plusieurs années, dans le Michigan, le généraliste Jack Kevorkian, dans un tout autre registre, circule avec sa camionnette pour distribuer la mort sur demande.