Rester caché jusqu'au lendemain était impossible. D'ici là, son absence serait remarquée au village. On se demanderait pourquoi il n'avait pas ramené son troupeau des alpages. Personne ne restait aussi longtemps seul en montagne. Quelqu'un irait bientôt à sa recherche et, une fois ses bêtes retrouvées, il ne faudrait pas longtemps pour qu'on comprenne où le berger était parti. La plupart n'y prêteraient guère attention et beaucoup lui souhaiteraient bonne chance, mais il y en aurait toujours un pour le dénoncer par intérêt. L'alerte serait alors donnée à la frontière, ce qui réduirait considérablement ses chances de la franchir. Peut-être quelqu'un était-il parti à sa recherche dès hier et son absence avait-elle déjà été signalée. Dans ce cas, il espérait que personne ne pourrait imaginer qu'il avait couvert une telle distance en si peu de temps. Demain, les gardes-frontières seraient à sa recherche. De nuit, il pouvait encore les prendre de vitesse.
. La plupart du temps, il courait par simple goût de l'effort... et pour se préparer à cette fuite qui allait bientôt le conduire à la liberté ou à sa perte.
Des années plus tôt, au cours d'une de ses rares visites en ville, un marchand de chaussures le voyant pieds nus l'avait convaincu en le couvrant de honte d'en acheter une paire, qui était censée lui permettre d'aller plus loin, de courir plus vite. C'étaient d'étranges chaussures bariolées sorties des chaînes d'une lointaine usine de Shanghai, de Tianjin ou de Shenzhen. Xi ne se chaussait que pour éviter les gelures et préférait alors les mocassins. Non seulement ces chaussures lui avaient coûté trop cher, mais elles lui meurtrissaient les pieds et le faisaient boiter quand il courait. Bref, il était venu au monde pieds nus et entendait bien finir sa vie ainsi. Il espérait juste que cette fin ne surviendrait pas trop tôt, par exemple sous les balles des gardes-frontières.
(...)
L'aube se levait lentement sur les hautes terres de la région frontalière entre le Tibet et le Népal. De timides lueurs, invisibles depuis les vallées, teintaient déjà les sommets enneigés de l'Himalaya. Mais la caresse des premiers vrais rayons de soleil n'était encore qu'une lointaine promesse. Les étoiles brillaient toujours du même éclat et seuls ceux dont les yeux étaient habitués à l'obscurité savaient qu'elle se dissiperait bientôt.
S'il en avait été capable, Xi aurait tout fait pour empêcher le jour de se lever. Sachant depuis le départ que ce serait la partie la plus difficile du voyage, il espérait l'aborder au milieu de la nuit, pas à l'aube.
Rester caché jusqu'au lendemain était impossible. D'ici là, son absence serait remarquée au village. On se demanderait pourquoi il n'avait pas ramené son troupeau des alpages.
Des années plus tôt, au cours d'une de ses rares visites en ville, un marchand de chaussures le voyant pieds nus l'avait convaincu en le couvrant de honte d'en acheter une paire, qui était censée lui permettre d'aller plus loin, de courir plus vite. C'étaient d'étranges chaussures bariolées sorties des chaînes d'une lointaine usine de Shanghai, de Tianjin ou de Shenzhen. Xi ne se chaussait que pour éviter les gelures et préférait alors les mocassins. Non seulement ces chaussures lui avaient coûté trop cher, mais elles lui meurtrissaient les pieds et le faisaient boiter quand il courait. Bref, il était venu au monde pieds nus et entendait bien finir sa vie ainsi. Il espérait juste que cette fin ne surviendrait pas trop tôt, par exemple sous les balles des gardes-frontières.
Xi
L'aube se levait lentement sur les hautes terres de la région frontalière entre le Tibet et le Népal. De timides lueurs, invisibles depuis les vallées, teintaient déjà les sommets enneigés de l'Himalaya. Mais la caresse des premiers vrais rayons de soleil n'était encore qu'une lointaine promesse. Les étoiles brillaient toujours du même éclat et seuls ceux dont les yeux étaient habitués à l'obscurité savaient qu'elle se dissiperait bientôt.
S'il en avait été capable, Xi aurait tout fait pour empêcher le jour de se lever. Sachant depuis le départ que ce serait la partie la plus difficile du voyage, il espérait l'aborder au milieu de la nuit, pas à l'aube.