Philippe Bonnin

Tu quittes un paradis
par son entrée
à reculons
comme Orphée son Eurydice
sans te retourner?

Se rapprochant des eaux
au reflet d'automne
sous l'auvent au plafond d'or

Contrainte et ascétisme
plus que richesse étalée
quel art!

Château de paille et de papier
château de cartes
dressé le temps d'une fête
qui survit
miraculeusement

En retour
entre les branches
derrière la neige des cerisiers
lignes strictes et toitures sombres
façade toute de blanc vêtue
le palais, la villa, les cabinets

Sentier sauvage et
pierres dallées,
allée droite, civilisée
se croisent, se mordent, débordent
à toute règle il faut sa contradiction

Pensées d'une nuit calme
la lumière de la lune baigne mon chevet
comme si elle en couvrait le sol de givre
la tête aux étoiles je contemple le disque lumineux
mais baissant les yeux je songe où je suis né

Fleur du prunier si fragile
la première de l'an
la plus belle, si fine et délicate
arbre si courageux
qui fleurit avant les derniers flocons

Horizon à demi caché
bribes de paysage, éparses
reconstruire la beauté pour l'éprouver

Cinq ponts arqués
couverts de terre
pelouse volante
chemins célestes
banquettes de mousse en accotoir
dix fines marches
trop courtes pour le pas
deux maigres piles charpentées

Façade de la nuit
la lune au dos
clair paysage

Salle minuscule
une cathédrale
pour l'humilité, le recueillement
raréfaction

Rocher incliné
paraît flotter
rampe aux tortues
se chauffant au soleil hivernal

De-ci, de-là négligemment
une touffe naissante de fougère aigle
deux ou trois frondes
pas plus

Haie basse, translucide
frêle rideau
limite de dentelle

Fragmenter
toujours
la vue
les pierres du chemin
le pont aux longues pierres qui n'aboutent pas

Murs hourdis de terre ocre
chaperonné d'un faîte de bardeaux
écorce bellement pourrie
rongée de mousses
patine, oeuvre du temps impitoyable

Souffles de brise
lumière changeante
infimes indices des saisons
chaque herbe condense
le temps qui la fait croître
son temps spécifique

Saison des typhons, des orages
grosses gouttes grêlent la surface
dessins en ondes concentriques
l'éclat bref d'une bulle surgit
et s'éloigne

Aube de neige
scintillante, nacrée
paysage à l'encre claire
matin fou de silence englouti