Le projet individuel peut être, lui aussi un instrument d'aliénation s'il devient une fin en soi, la seule justification de notre action auprès des personnes handicapées. Il est à craindre que le refoulement des questions fondamentales sur le sens à donner à notre condition humaine au profit de seules réponses techniciennes ou juridiques ne fasse retour dans la violence toujours possible à l'égard de ceux qui sont aux marges de ce que nous désignons habituellement sous le terme de normalité.
Dans le secteur social et médico-social, nous pouvons faire l'hypothèse que la notion de projet, et plus particulièrement celle de projet individuel, vient tenter de contenir et de donner un sens à cette présence des personnes handicapées ou malades qui nous questionnent profondément sur notre propre humanité, toutes les sociétés tentant à leur manière d'y répondre. Le projet individuel pourrait être notre manière contemporaine de répondre à cette question mais il faut veiller à ce que l'outil ne vienne pas occulter ces questions qui restent posés à notre condition humaine, et ne laisse penser que, de manière magique, nous avons résolu une fois pour toute le problème de la présence et du devenir de ces personnes.
L'activisme est un mécanisme de défense bien connu dans les institutions sociales et médico-sociales, où la qualité de la prise en charge est parfois évaluée à l'aune de la quantité d'activités proposées aux usagers et moins à celle de leur contenu.
On connaît les dérives de l'activisme, ce mécanisme de défense décrit par J.Hochman comme un impératif pour les soignants de montrer qu'ils existent, d'apporter de manière profuse et non réglée, la preuve de leur efficacité, de leur engagement, de leur créativité, de justifier leur fonction. p112
La désinstitutionalisation mise en œuvre depuis quelques années n'est pas obligatoirement une panacée, comme si, en luttant contre et en détruisant les asiles, on ne risquait absolument pas de fabriquer pire.
C'est pourquoi les notions de bien-être et de mieux-être, qui indiquent une idée d'amélioration de l'être, nous semblent trop approximatives pour étayer solidement le projet individuel d'un résident.
Savoir que l'on compte pour quelqu'un est un lien vital, au sens réel du terme, et ce que l'on nomme parfois syndrome de glissement chez des personnes âgées ou lourdement handicapées est certainement la manifestation tragique de la perte de ce lien. Le lien est ce qui est en mesure de rendre vivable la douleur d'exister.
Les projets personnalisés finissent par être élaborés non pour la personne mais uniquement pour satisfaire les exigences de la loi et du gestiocrate.
Il ne peut certainement pas y avoir de pratiques d'éducation et de soins sans qu'un questionnement éthique vienne en déstabiliser les certitudes.