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Citation de Nastasia-B


Dans le " De iustitia et iure " l'on trouve [...] les mots d'Ulpien qui manifestent les idées animant alors un très haut magistrat au service du pouvoir impérial :
" C'est à juste titre que certains nous appellent « prêtres », car nous cultivons la justice et proclamons la connaissance du bon et du juste, en séparant le juste de l'inique, en discernant le licite de l'illicite, en souhaitant rendre bons les individus non seulement par la crainte de peines mais encore en encourageant par des récompenses, et aspirant si je ne me trompe à la vraie philosophie, non à la fausse. "
Il y a là tous les éléments de langage du rationalisme constructiviste décrit par Friedrich Hayek, une conception politique selon laquelle les choix publics doivent répondre à la volonté de construire la société suivant un certain modèle : des « prêtres de la justice », des initiés capables de guider la masse du peuple ; Ulpien prétend y arriver « non seulement par la crainte mais encore en encourageant par des récompenses » alors qu'à l'origine le droit romain se souciait de faire respecter le droit de chacun, la " libertas ", non de modeler l'ordre social.
[...]
L'idéologie d'Ulpien a très fortement marqué l'Histoire bien au-delà de la chute de l'Empire romain : en Europe occidentale le Moyen Âge fut marqué par la redécouverte des compilations de Justinien qui furent commentées pendant des siècles et servirent de base à la réapparition d'une pensée juridique et de systèmes étatiques. Or, même si elles furent abordées avec un regard nouveau, marqué notamment par le christianisme et le fait que les textes, après plus d'un demi-millénaire, étaient perçus plus comme une sagesse antique et que le corpus de règles imposées par un pouvoir qu'il était à l'origine, ces compilations n'en demeuraient pas moins une somme de droit et d'opinions juridiques largement portées par un régime totalitarisant. Ainsi, durant des siècles, les commentateurs d'Europe continentale répétèrent à l'envi les maximes d'Ulpien faisant des juristes, et en particulier des juges, les « prêtres de la justice ». Jacques Krynen [...] donne à voir la persistance de cette idéologie après la Révolution et jusqu'à nos jours où la magistrature est encore persuadée d'avoir un rôle organisateur de la société, ce qui était la vieille idée d'Ulpien (récemment les magistrats français du Syndicat de la magistrature ont montré leur propension ulpiennesque à se croire dépositaires de la " vraie philosophie " en recensant sur un Mur devenu fameux les photos de leurs ennemis idéologiques et politiques). Ce n'est pas le cas ailleurs, en particulier dans les pays anglo-saxons, que l'on parle du système de " Common law " ou du système américain. Il nous semble que ceci est la clef du vieux débat au sujet du libéralisme : pourquoi a-t-il plus de succès dans les pays anglo-saxons qu'en Europe continentale et spécialement en France ? On a proposé à ce sujet beaucoup d'explications : tempérament latin contre tempérament nordique, culture catholique contre culture protestante. Notre explication est en fait dans la culture juridique, ce qui est logique puisque le libéralisme est avant tout une conception du Droit (l'aspect économique n'étant qu'une conséquence) : en Europe continentale ce que l'on appelle le système juridique romano-germanique s'est érigé sur la base conceptuelle des textes romains qui étaient le droit d'un État à tendance totalitaire n'admettant pas que lui fussent opposées des droits individuels inaliénables, tandis que les Anglo-saxons, eux, ont bâti leur système juridique pratiquement d'eux-mêmes, sans être influencés par l'idéologie étatique d'Ulpien. En résumé nous sommes en France attachés au legs final d'un droit romain devenu totalitaire alors que les Anglo-saxons, et en particulier les Américains, en ont retrouvé l'essence originelle : la " rule of law ", l'état de droit. Notion d'ailleurs qu'en France les juges ont un rôle démesuré qu'ils n'ont point aux États-Unis, encadrés qu'ils sont par les deux piliers de la transaction et du jury populaire qui leur interdisent de se sentir « prêtres » de quoi que ce soit.

Chapitre IV : Vers le Dominat : les Sévères et l'anarchie militaire.
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