Philippe Milner

Le vieux prof gauchiste (et encore militant)

D'après la datation au carbone 14, il doit avoir une cinquantaine d'années mais, ayant réussi à éviter le scénario éculé qui consiste à être révolté quand on est jeune pour devenir réac quand on est vieux, il a gardé un air de vieux-jeune. Sa longue expérience politique a été aussi enrichissante du point de vue humain que calamiteuse du point de vue des résultats, mais cela ne l'a pas affecté. Il a du gauchisme la même conception que la médecine a des longues maladies sans thérapie possible : un état avec lequel il faut vivre ! Cela fait donc trente ans qu'il cohabite avec les principaux défauts du gauchisme, en particulier l'inefficacité chronique : si plus de douze personnes assistent à sa réunion de quartier, c'est louche ! Soit la plate-forme est démago, soit les lambertistes (secte trotskiste) font de l'entrisme dans son comité d'action. Qu'à cela ne tienne, une bonne scission le moment venu et tout rentrera dans l'ordre ! Il semble incarner cette boutade qui, en son temps, circulait clans les milieux gauchistes sachant pratiquer l'autodérision : "le théoricien marxiste est celui qui sait expliquer pourquoi les masses sont indifférentes ; le militant ouvrier est celui qui peut mobiliser les masses mais ne sait pas pourquoi ; le gauchiste est celui qui réalise la synthèse des deux : il laisse les masses indifférentes et il ne sait pas pourquoi".

Le prof tiroir-caisse

Pendant que certains planent dans l'ionosphère en quête de leur karma, d’autres n’ont pas cette patience et préfèrent s’en tenir à ici et maintenant,
de préférence les poches pleines grâce aux cours particuliers. Pour cela, ils appliquent une technique éprouvée par les kolkhoziens soviétiques sur les
lopins individuels : réaliser quarante pour cent des rentrées d’argent sur deux pour cent des terres cultivables. En l’occurrence, le lopin individuel
c’est un élève plutôt faible, et la terre fertile, des parents solvables.
Les profs restent très discrets sur cette activité occulte car ils détestent entacher leur image de marque intellectuelle par de sordides histoires
d’argent. Dans les boites à bac, les directeurs ferment les yeux car cette manne fait baisser la pression sur les salaires.
A part la gym, le dessin ou l’histoire-géo qui sont peu demandés, certaines matières permettent à ce point d’arrondir les fins de vacances qu’on pourrait, sans rire, les nommer matières grasses.
Le prix des cours particuliers évolue d’un petit cent francs de l’heure pour des étudiants assurant le soutien scolaire, à un tarif qui peut excéder deux
cent cinquante francs horaires pour des professeurs agrégés dans des matières plus demandées.
(p.121)

Le rappeur inepte

Version moderne de l’adolescent boutonneux et mal élevé, il est persuadé qu’après avoir fumé son premier joint, barbouillé son premier tag et - pour
les plus extravertis - consommé ses premiers rapports sexuels, il ne lui reste plus grand-chose à apprendre de la vie en général, plus rien du tout de ses profs en particulier.
(p.65)

Le prof sadique

S’il est permis de perdre patience et de devenir cassant, tout le monde heureusement n’y prend pas plaisir au point de l’ériger en système de relations à autrui. Tout le monde sauf le prof sadique, que chacun a connu et subi un jour ou l’autre. A l’inverse du démocrate-gogo (voir paragraphe précédent), lui change l’or en plomb, de préférence fondu, qu’il fait dégouliner sur la piétaille.
Sans doute aigri par un métier pour lequel il n’est pas fait, il va déverser son fiel sur tout ce qui passe à portée de mépris, à moins qu’une inclination naturelle ne le pousse à ce vice. Il produit spontanément les anticorps qui l'immunisent contre le syndrome de mai 68.
(p.110)

Queue-de-cheval

Queue-de-cheval est une conne oiseuse, techniquement parlant.
Dit comme ça, c’est pas très gentil, mais je vous assure qu’elle ne l’a pas volé. Elle n’est pas toujours repérable à vue bien qu’elle ait un certain penchant pour les baskets à semelles surcompensées et la queue-de-cheval émergeant de la fontanelle cernée d’un chouchou en velours mauve. Si elle a renoncé à ces ajouts dimensionnels aux deux bouts de son anatomie, qu’on se rassure, elle ne tarde généralement pas a se signaler à votre attention par une remarque soit conne, soit oiseuse, d’où conne oiseuse.
(p.33)

Le diesel

Ah, le diesel ! Caractère attachant mais combien de fois ai-je quitté la salle de classe l’estomac plié en huit de m’être retenu pour ne pas perdre mon calme, car il est méritant, le bougre... Avec tous les efforts qu'il fait, on ne peut pas lui en vouloir.
(p.40)