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Citation de Partemps


TRANSMISSION

Le Philosophe se souvient de ses controverses de jeunesse avec des rabbins, des théologiens, des imams, des prêtres et des philosophes. Les rabbins lui reprochaient son kabbalisme obstiné, les théologiens son peu d’empressement à se mettre à l’école de saint Thomas d’Aquin en s’en tenant strictement à l’ésotérisme de Dante, les imams ne supportaient pas son mépris du Coran et de Mahomet, les prêtres, les pasteurs et les popes étaient révoltés par sa vie licencieuse et son indifférence à la communauté chrétienne, les philosophes, enfin, dénonçaient ses compromissions révolutionnaires et ses rencontres très libres avec Hegel, Nietzsche ou Heidegger.

Quand Heidegger, à la fin de sa vie, déclare que « seul un dieu pourrait aujourd’hui nous sauver », il semble penser au Philosophe Inconnu. De même Nietzsche, dans plusieurs passages de L’Antéchrist. Ces hommes de grand désir ont échoué, parce qu’ils n’ont pas su se taire. Toute l’expérience du Philosophe Inconnu porte sur le silence. Comme il n’est pas mystique, mais passionnément rationnel, il reste à imaginer son but.

Un fragment nous met sur la voie :

« Dehors la tempête fait rage. J’ouvre la porte, je rentre, et, aussitôt, la grande vérité du merveilleux silence est là [2]. » Cette indication, pourtant très claire, a complètement échappé à la critique littéraire, de même qu’un autre signal consistant à citer les Principes du calcul infinitésimal de l’ésotériste René Guénon [3]. Cette référence n’aurait pas surpris, en revanche, l’ancien directeur de la NRF, Jean Paulhan, martiniste discret et allusif, chez qui, rue des Arènes, à Paris, le jeune auteur dont nous parlons venait lire des livres très rares.

La « grande vérité » résonne comme un autre titre chinois de René Guénon, La Grande Triade, que Paulhan me donnait à lire, pendant qu’il travaillait à une autre table en écoutant bizarrement la radio. Il y avait aussi un Laozi dans une traduction ancienne approximative. Le comportement de Paulhan était très chinois, toujours indirect, évanescent, ironique. Est-ce lui qui m’a mis entre les mains Le Ministère de l’Homme-Esprit ? C’est probable. Je le regardais, en douce, faire son courrier, petites cartes pour inquiéter les destinataires, belle écriture ronde vocale. C’est quand même pour ce type-là, grand lecteur de Sade, qu’une femme a écrit le meilleur livre érotique féminin, Histoire d’O.

Histoire d’O paraît en 1954, l’année de la mort de Colette (sacré décalage). Gide, mort en 1951, n’a pas eu le temps de voir surgir une telle monstruosité féminine. Quant à Paulhan, qui savoure en secret cette bombe, il pousse la provocation jusqu’à se faire élire à l’Académie française.

Dominique Aury s’appelait en réalité Anne Desclos, mais elle a signé Histoire d’O du nom de Pauline Réage, où il n’est pas difficile d’entendre « Egérie Paulhan ». Elle a réagi aux inclinations de son amant seigneur et maître (Sir Stephen), non sans rage. Le préfacier du livre, Paulhan lui-même, s’amuse en démontrant que Sade était masochiste. Il faut préciser que O n’arrive à un spasme libérateur qu’en se faisant attacher et fouetter.

Stendhal prétendait que le modèle de la marquise de Merteuil, dans Les Liaisons dangereuses, lui avait offert des bonbons, lorsqu’il était un jeune garçon. J’ai vu, près de moi, au Comité de lecture des Éditions Gallimard, la vieille et charmante Dominique Aury, O. elle-même, s’endormir peu à peu, après avoir nettement parlé, dans le soir tombant. C’était émouvant.
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