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Citation de Partemps


CONTRE-DÉSIR

Laurence, en tant qu’avocate, récolte beaucoup de renseignements sur le chemin de la foule menant au contre-désir. Là règnent la défiance, les passions négatives, les opinions changeantes, l’erreur. Le désir doit être contredit sans cesse, rien de sa vérité ne doit arriver. Les réseaux de Laurence sont ceux du Barreau, redoublés par son appartenance maçonnique. Bien entendu, elle ne parle jamais de sa société secrète, juste un signal, de temps en temps.

Elle est gaie, très intelligente, déjeuner avec elle est une fête du vocabulaire. La méchanceté humaine est son élément. Divorces, héritages, fraudes, diffamations, dénonciations calomnieuses affluent vers son étude, rue Esprit-des-Lois, à Bordeaux. En deux heures de TGV, elle est à Paris, au Palais de justice. Je la rejoins là, et elle est très chic dans sa robe d’avocate qui fait ressortir sa désinvolture. Je la laisse parler, elle croule sous des dossiers et des anecdotes. Sa vie est un roman permanent.

Le grand sujet, désormais, est la violence sexuelle, les agressions multiples et les viols, révélés par la libération de la parole des femmes. Ça a commencé aux États-Unis dans le cinéma, mais l’explosion est vite devenue générale, avec les slogans sur Internet, « balance ton porc » et « me too ». Les plaintes évoquent parfois des faits très anciens, et crépitent dans tous les sens. La chasse aux porcs masculins est ouverte dans les entreprises, les services publics, les milieux politiques, les producteurs de films. Une journaliste porte plainte, vingt ans après, pour agression sexuelle, contre une célébrité mâle, qui, lors d’une interview, a mis sa main sur sa cuisse. Le concept de cuisse résonne partout.

Les abus de faiblesse ne se comptent plus. En réalité, les femmes ont été harcelées, agressées et violées depuis la plus haute Antiquité, mais pourquoi parlent-elles maintenant ? Effondrement du patriarcat ? Mise en place de la reproduction technique ? Découverte plus que tardive de la différence sexuelle ? Sans doute, sans doute. En tout cas, un monde nouveau surgit, celui du contre-désir. Le désir était brutal et absurde, le contre-désir ramène la sécurité. Les hommes étaient ridicules de poursuivre les femmes de leurs fantasmes. Ça va continuer, mais le truc est crevé.

Regardez l’homme du contre-désir : il est très agité, son seul pôle est l’emploi qu’il occupe. Il veut monter de plus en plus haut dans l’ascenseur social, sa tête est pleine de chiffres, c’est un manager for ever. La femme de contre-désir est pareille, meilleure encore en termes de marketing. Si ces deux-là s’accouplent, d’une manière ou d’une autre, c’est juste pour vérifier la répulsion que son partenaire lui inspire. Elle l’ennuie, il la choque. Ils se parlent le moins possible, et toujours d’argent. Leurs enfants sont idiots et insatiables. Il faut sans cesse leur acheter autre chose, changer les téléphones portables et les ordinateurs, les emmener en vacances, les empêcher de consulter des sites porno, débrancher la télévision devant laquelle ils s’abrutissent pendant des heures, tenter de contrôler leurs contacts sur le net. Horreur : ils communiquent en prenant des pseudos, en jouant à être adultes, alors qu’ils ne sont même pas des ados.

Au moindre signe de vrai désir, la répression s’organise. Cette fille est bizarre, elle préfère jouer du piano classique et délaisse son ordinateur. Elle se passionne pour des vieilleries et des virtuoses de l’ancien temps, semble mépriser tout ce qui est rock ou pop. Elle ne va pas en boîte, et reste dans sa chambre en lisant des philosophes déconseillés par les professeurs. Il faut la marier, et lui faire passer des masters. Le garçon, lui, est rêveur, n’arrête pas de lire des poèmes, et s’emballe pour des auteurs d’autrefois répertoriés comme machos par l’Alliance Féministe Universelle. Le plus anormal est qu’il ne paraît avoir aucune tendance homo. Il faudra lui prévoir un stage dans une entreprise. Une banque peut le sauver, s’il n’est pas trop tard.

Grâce aux tornades de dénonciations, l’humanité prend enfin conscience que 80 % des femmes n’ont aucun intérêt pour la sexualité, et sont en général obligées d’y souscrire pour des raisons de pouvoir ou d’emprise. On peut répartir les 20 % qui restent en 10 % de spécialistes de l’auto-érotisme, et 10 % d’homosexuelles plus ou moins installées ou mariées entre elles. Inutile de dire que les hommes, à part le réseau gay en extension fulgurante, ne sont pas au courant de ces 20 %. Ces hétéros primaires foncent dans le tas, gros bêtas. Même s’ils tournent homos, ils restent les employés organiques de leurs mères.
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