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Citation de Partemps


Entretien à la suite de la publication de Mystérieux Mozart. La musique traverse régulièrement l’ ?uvre et la vie de Phillpe Sollers. Le rôle des musiciennes y est souligné. Cecilia Bartoli est son amie.

Votre père était mélomane et chantait même avec une belle voix de ténor, vous avez vécu votre enfance à Bordeaux. Quelle ont été vos premières émotions musicales ?

Les concerts de jazz sont les premiers auxquels j’ai assisté. Il est évident que ceci est venu de mon père. Lorsque les Allemands se sont retirés de Bordeaux en catastrophe, ils ont abandonné des postes de radio, qui étaient évidemment beaucoup plus modernes que les postes français. La radio surgit ainsi, lorsque j’ai huit ou neuf ans. Des messages brouillés, un apprentissage des voix qui m’a été très sensible... Enfant, j’étais balancé entre l’espagnol des réfugiés, les hurlements des allemands, le français qu’on chuchotait un peu clandestinement... ce qui explique peut-être mes interrogations récentes sur l’opéra mozartien. Mon père a récupéré ces postes de radio, et j’ai commencé à écouter la musique. Cette époque - les années 1940-50 - étaient par certains aspects très touchantes. Pensez à Ferenc Fricsay, par exemple : en réécoutant Enlèvement au Sérail enregistré à Berlin, on comprend la guerre d’une autre façon à travers la musique. Je vois cela avec le recul, mais à dix ans, je n’avais aucune culture musicale, et le jazz est entré dans ma vie. Et là, le choc.

Le choc, c’est un concert de Louis Armstrong ?

Oui. J’avais douze ou treize ans, et j’achetais déjà énormément de disques, des 78 tours ; j’ai encore une collection qui serait bonne pour la casse, c’est du vieux musée ! (rires). Les disques, donc, et des voix. La voix rugueuse d’Armstrong, bien sûr, qui reste quelque chose d’étonnant... Puis l’arrivée du flamenco : avec le jazz, ce sont les deux grandes musiques, à mon avis, du XXe siècle, même si j’ai aussi été frappé par Stravinski et Webern, mais c’est autre chose, et la musique dite « contemporaine » - ce que j’en connais - ne m’intéresse pas. Voilà donc mon apprentissage : les voix, les langues, et les deux grandes musiques populaires : le jazz et le flamenco. J’ai aimé la musique classique plus tard, vers quatorze ou quinze ans, lorsque j’ai commencé à en écouter et à faire des choix.

De manière culturelle ou hasardeuse ?

Un peu hasardeuse, parce que dans les années 1950, il n’y avait pas tant de choses accessibles. Je me rappelle par exemple de Casals, une découverte essentielle. Bach, je l’ai certainement entendu très tôt : comme je suis catholique, j’ai écouté de l’orgue, des chorals. Après a débuté un long parcours pour classer ce qui allait me rester jusqu’à la fin. Et en même temps, je me suis mis à pianoter, sans savoir les notes, de façon purement instinctive.

On repère vos goûts fondamentaux à travers vos romans, où la musique faufile souvent le discours. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’aborder de manière frontale la musique dans un de vos livres ?

Parce qu’il fallait un livre spécial ; peut-être aussi parce que la question historique a mis très longtemps avant de m’apparaître dans toute sa clarté. C’est-à-dire : que s’est-il passé entre le Français et la musique ? Qu’est-ce que cela signifie, historiquement ? Ce n’est pas seulement la Révolution française : qu’est-ce qui fait qu’entre le Français et la musique, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, ou mal ? Pourquoi, au contraire, l’Italien, l’Allemand et l’Anglais peuvent passer une vie à écouter leur répertoire national ? Je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a pas de très grands musiciens français. Mais tout de même, Bach, Mozart, Beethoven, Purcell, Vivaldi... Le problème est un problème religieux, historique, et en outre, le plus souvent falsifié, mal raconté.

Alors vous avez écrit ce livre sur Mozart...

C’est une tentative d’éclaircissement. En gros, à travers la biographie et les ?uvres, j’essaie de tisser les choses à ma manière, surtout en posant cette question : qu’est-ce que signifie pour Mozart sa situation historique ? Pourquoi la critique très sévère de la France, en 1778 ? Pourquoi était-il impossible de faire jouer, à l’époque, le moindre opéra de Mozart à Paris ? L’essentiel de mon travail a porté sur l’écoute très attentive des sept derniers grands opéras, d’Idoménée jusqu’à La Clémence de Titus, en essayant de montrer comment tous ces opéras sont liés les uns avec les autres. Il faut écouter avec le livret, plutôt dans la langue originale, et voir de quoi ça parle exactement, avec une grande précision. Mozart est le seul compositeur à avoir si bien compris les femmes avec une telle profondeur. Prenez ses opéras, prenez les rôles féminins (et travestis, bien sûr !) : tout y est. C’est sans doute pour cela que je l’aime tant (rires) ! Et aussi : qu’est-ce que le quintette pour Mozart ? Qu’est-ce que cette amitié entre Haydn et Mozart - une amitié musicale comme celle-là, qui n’a pas connu d’antécédents, comment a-t-elle pu être possible ? Alors qui est ce Mozart, au milieu de son temps ? Il n’y a pas de Mozart sans Haydn (que j’adore, et écoute tout le temps) : c’est lui qui le dit, ce n’est pas moi ! Mais il y a les opéras de Mozart. Avant, il n’y en avait de pareils ; après, il n’y en a pas de pareils. Mystérieux Mozart, oui.

Dans L’éloge de l’infini, vous écrivez : « Bach et la musique baroque : grande redécouverte de notre temps »...

Oui, je crois qu’en trente ans, à peine, s’est produit un événement absolument gigantesque, et que les temps ont changé pour ceux qui l’entendent. Je pense que c’est là encore un phénomène historique. À la fin du XIXe siècle, vous avez d’un côté les intellectuels, regroupés autour de Wagner, et Debussy qui essaie de faire ce qu’il faut pour créer un « art français », mais ça ne va pas très loin. Le problème des français, c’est ça. Mozart avait su être à la fois léger et profond. Or à l’époque dont je parle, Mozart n’est pas joué, ou alors très peu. Bien sûr que Haendel a fondé à la fois la couronne et la religion de Westminster, mais qui connaissait vraiment le reste, pourtant considérable ? S’était-on mis à jouer Bach de façon implacablement répétitive ? Au XXe siècle, simplement, les moyens techniques se sont développés : la radio, le disque, la hifi... Les orchestres se sont réveillés, d’admirables musiciens se sont formés. Entre le moment où vous écoutez Alfred Deller pour la première fois, et que vous en entendez cinq autres qui peuvent faire la même chose - peut-être pas aussi bien d’ailleurs, parce que ce qu’a fait Deller est inouï -, une nouvelle génération a surgi. Cette nouvelle génération possède incontestablement une aura, et elle a la possibilité de la faire connaître, grâce aux médias d’aujourd’hui.

Vous n’écoutez que des baroqueux ?

Non, loin sans faut ! ma discothèque idéale est énorme. Ne serait-ce que ça, l’écouter attentivement, pendant longtemps... Je me suis aperçu, en écrivant mon Mozart, que je n’avais pas assez rendu hommage à Friedrich Gulda pour son interprétation de la Fantaisie en ut mineur. Ce qui est beau, c’est ce qui est infini, et avec la musique classique, on commence par des morceaux très précis, puis ensuite on voit les interprétations, puis on les compare. Par exemple je choisis et réécoute interminablement certains enregistrements de Clara Haskil.

Comment vivez-vous quotidiennement avec la musique ? Allez-vous aux concerts ?

Aux concerts très rarement, parce que je suis un peu agoraphobe ... Quant aux disques, il y a des choses que je réécoute très souvent : des Cantates de Bach, le Quintette pour clarinette de Mozart... enfin, je vais mettre un peu la pédale douce sur Mozart (rires), j’en ai écouté pendant deux mois de façon intensive, et sans jamais m’en lasser, sans m’ennuyer. Pour attaquer le sujet, j’écoute, j’arrête, je regarde les paroles...
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