Philippe de Rémi

Jehan était si décontenancé devant elle qu'il n'ose émettre un son. Cependant, il se dit qu'il est sot, qu'il va lui demander sur-le-champ si elle tiendra sa promesse. Il ouvre la bouche pour parler, puis la referme car, dans un tel moment, tous les vrais amoureux sont pris de peur. Cependant, à la fin, ces mots, mêlés de soupirs, sortent de sa bouche : "Dame, ne vous souvient-il pas d'une promesse que vous m'avez faite quand j'étais malade et pour laquelle vous m'avez rendu la santé ? - Bien sûr, Jehan, je me la rappelle très bien, mais je l'ai faite pour votre bien. Vous étiez par votre folie près de mourir ; n'y revenez pas aujourd'hui. J'ai voulu vous guérir : par cette promesse, je vous ai rendu la santé, car vous étiez hors de votre bon-sens. Soyez désormais plus maître de vous ; efforcez-vous de bien me servir, c'est par là que vous tirerez le plus grand profit ; mais surtout, n'allez pas croire que je puisse vous donner mon cœur, ce serait trop gravement m'abaisser."

Que Dieu honnisse les traîtres ! Ils ont causé bien des malheurs en ce monde.

Certes, on peut, pendant longtemps, faire du mal à autrui et lui causer de la souffrance. Mais plus on fait le mal, plus cruellement celui-ci se retourne sur ceux qui l'ont fait.

C'était la douce saison où les rossignols ont bien raison de chanter à cause du beau temps, où les prés sont verts et fleuris et les vergers chargés de fruits, où la belle rose, dont les dames font des couronnes que leurs amants reçoivent en gage d'amour, est dans la plénitude de la splendeur, où l'herbe que le froid avait fait disparaître, est revenue.

Il dit la vérité celui qui proclame que dans un grand amour réside une grande haine.

Le roi, de son côté, menait une vie heureuse avec son amie. La nuit, ils dormaient ensemble et connaissaient beaucoup de plaisirs, plus que je ne pourrais vous le dire même si je m'y consacrais longuement. Mais aussi grands avaient été les désirs et les tourments qu'ils avaient subis, aussi grand est le plaisir qu'Amour leur fait connaître, celui que goûtent dans l'intimité des amants qui s'aiment sincèrement : ils ressentaient pleinement la douce saveur des enlacements, des caresses, des baisers, des doux comportements, du doux plaisir, et du doux réconfort qu'ils ressentaient dans les bras l'un de l'autre.

L'ivresse cause beaucoup de maux ; c'est pourquoi bien fou est celui qui s'y livre.

Comme il ne cessait de fréquenter ce lieu, le roi en vient à juger déraisonnable son propre comportement. Car quand une flèche a été décochée, elle ne peut revenir en arrière avant d'avoir achevé son vol. Ainsi, quand, à travers les yeux, l'amour a volé jusqu'au cœur, il ne peut en sortir sans avoir atteint son but et il provoque maintes fois soupirs et plaintes chez bien des hommes et des femmes qu'il a vaincus et jetés dans une profonde détresse. Cet amour serait bien dangereux, s'il n'était pas aussi source de plaisir ; nul cœur ne pourrait le supporter si cette douleur n'était pas aussi plaisante. Mais comment une douleur peut-elle être plaisante? Voilà deux choses bien opposées. Comment aimer la douleur que l'on ressent nuit et jour? Et comment un cœur peut-il aimer ce que l'on doit appeler douleur, souffrance et tourment?

L'amour est un désir qui s'est attaqué à maint cœur, je vais vous dire de quelle manière : l'amour a dans le monde de nombreux messagers ; ce sont les yeux, eux qui nous servent à voir, et auquel chaque cœur doit se fier : il les dirige là où il veut et doit leur faire totalement confiance. Mais tous les yeux sont par nature plus fous que des bêtes en pâturage. Car ils n'observent que ce qui leur plaît le plus et ne prêtent attention à rien sinon à ce que leur cœur désire. En effet leur situation fait précisément d'eux la lumière du cœur, qui ne peut voir qu'à travers eux. Et Nature les pousse à désirer passionnément contempler la beauté. De ce fait Nature et Désir, maîtres des yeux, observent à travers eux l'objet de leur plaisir et de leur ravissement suprême. Lorsqu'ils voient ce qu'ils désirent, les yeux vont aussitôt en avertir le cœur, lui ordonnant de prêter attention à ce qu'ils lui font voir. Le cœur aussitôt y porte le regard avec une telle intensité que, sans y prendre garde, cette vision l'attaque de toutes parts et l'atteint en passant par les yeux ; le discours qui lui est fait l'enflamme d'un désir qui le blesse au plus profond, et cette souffrance emprisonne le cœur dans des sentiments plus opposés que ne l'est l'été face à l'hiver.

Nuits et jours sont beaux pour ceux qui vivent en amoureux.