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Citation de moravia


LES FAUX VRAIS ET LES VRAIS FAUX

Il y avait une fois à Lavit-de-Lomagne (Tarn-et-Garonne) un notaire qui s'appelait Me Dumas.
Le 15 mars 1945 (sept mois donc après le départ des Allemands), cinq hommes armés arrivent en auto chez ledit notaire.
— Nous venons, expliquent-ils, perquisitionner au nom de la Résistance.
Et ils ajoutent, très classiquement :
— Où sont les bijoux ?
Le notaire montre peu d'empressement. Pour lui apprendre à demeurer dans le courant de l'histoire, les cinq braves lui mettent son compte de plomb dans la tête.
Fin du notaire.
Tout cela, évidemment, ne serait pas bien grave et serait même une de ces actions héroïques que l'on donne en exemple aux enfants des écoles (et qui font dire à M. André Rousseaux que les hommes du maquis se situent sur le même plan que les croisés ou les soldats de l'An II) si l'on avait pu démontrer que Me Dumas avait collaboré. Ne serait-ce qu'un tout petit peu. En adhérant par exemple à la Légion des Combattants. Ou en ayant dans sa salle à manger le portrait du Maréchal. Ou en indiquant son chemin à un militaire vert de gris.
Rien de semblable, hélas ! Tout ce qu'on peut relever contre le défunt, c'est que, peu de temps avant sa mort, il avait fait arrêter un de ses assassins nommé Alvarez qui avait volé un ciboire à l'église de Lavit. Et certes, cette initiative était bien présomptueuse. Car comment affirmer, a priori, que le voleur de ciboire n'avait pas en vue la libération du territoire ? Mais, en définitive, il paraît que ça n'était pas le cas. De sorte que, même en s'en tenant à la pointilleuse éthique patriotique de Mme Madeleine Jacob, Me Dumas pouvait être autorisé à conserver sa vie et ses bijoux.
Or, on s'est tout de même décidé — avec énormément de retard, bien sûr— à faire des misères juridiques aux exécuteurs du notaire, ou du moins à celui qui semble avoir été leur chef, un Espagnol de l'armée (républicaine) en déroute, appelé Villadiel.
Le compte rendu de cette affaire était titré en gros caractères par le « Figaro » : « L'assassinat par de FAUX résistants du notaire Dumas ». On lisait l'article qui relatait en substance ce que je viens de dire, et l'on arrivait ainsi aux lignes de conclusion : « Xavier Jorda-Villadiel a été condamné à cinq ans de réclusion, mais la Cour l'a sur-le-champ amnistié en RAISON DE SA PARTICIPATION À LA RÉSISTANCE ».[...........................]

Il va de soi, d'ailleurs, que de pareilles contradictions ne peuvent embarrasser que les esprits demeurés dont je suis, c'est-à-dire les individus insuffisamment frottés de dialectique hégélienne. Aux « Deux Magots » et dans les antichambres de l'Express ou de France-Observateur, on sait depuis longtemps qu'il n'y a pas la
moindre incompatibilité entre le vrai et le faux, que le cas du maquisard Villadiel ne heurte nullement la raison, qu'il se situe dans le droit fil du relativisme einsteinien, qu'il n'est, en somme, qu'une simple application des légitimes distinctions entre l'en soi et le pour soi.
Lorsque, par exemple, M. François Mauriac dédicaçait
affectueusement son livre La Pharisienne au lieutenant Heller de la Propaganda Staffel, ou lorsque M. Claudel écrivait son « Ode au Maréchal » et conviait l'ambassadeur Otto Abetz au Soulier de Satin, ou lorsque M. Jean-Paul Sartre faisait jouer les Mouches et
Huis clos devant des parterres feldgrau, ou lorsque M. Pierre Brisson louait Vichy de son statut des Juifs (Figaro 20-11-41), ou lorsque M. Francisque Gay écrivait le 7 avril 1944 une lettre destinée à la Gestapo pour affirmer son collaborationnisme
et réprouver la résistance, ou lorsque M. Édouard Herriot adjurait ses collègues, le 9 juillet 1940, de voter pour Pétain, ou lorsque M. Vincent Auriol engageait les habitants de Muret à s'unir derrière le chef de l'État français, il est bien évident que ce n'étaient point là des actes de vraie résistance et que les intéressants
personnages sus-énumérés se comportaient plutôt, dans ces circonstances bien déterminées — à l'instar de Villadiel butant son notaire — comme de faux résistants.
Et pourtant qui oserait prétendre que MM. Mauriac, Claudel,
Sartre, Brisson, Gay, Herriot et Auriol ne sont pas de purs, de vrais, d'authentiques résistants ? Il leur a suffi de le proclamer en temps opportun (c'est-à-dire après le 32 août) et de le répéter avec assez d'obstination pour que tout le monde en soit convaincu. Ça
n'était pas plus difficile que ça...
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