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Citation de Charybde2


Déplorable fille, amenée par ses vices et par l’exagération de ses vertus à la dissolution la plus odieuse de sa personne. On l’avait crue promise à l’une de ces destinées extraordinaires que des étoiles semblent accompagner – ces astres brillent, dit-on, avec une intensité particulière quand les êtres auxquels on les associe atteignent quelque comble de réussite sociale ou de mérite personnel. Quelle erreur ! Avec sur l’épaule une chouette de concours qui dit des charades ; avec un esprit devant lequel les montagnes s’inclinent et fondent leurs glaciers ; avec un gros sac à dos bourré de pépites plus précieuses les unes que les autres, elle est pourtant l’une des plus démunies personnes de ce monde et incapable, chaque jour plus incapable de se hausser à une condition meilleure que ses talents nombreux devaient lui assurer, comment la qualifierai-je, sinon de malheureuse ? ô déplorable fille !
La pustule n’est pas rédhibitoire, dès lors qu’elle est convenablement placée. Ainsi, la déplorable fille, pourvu que ses malheurs ne lui mangent pas tout le visage, peut plaire. Elle peut même rendre fou : un beau visage de porcelaine que les malheurs ne mangent qu’à moitié, l’imagination le reconstitue sans peine, et le cœur romanesque du garçon qui passe, sensible aux peines qu’il ne peut soulager, conçoit pour celle qui les souffre un attachement dont il veut qu’on lui sache gré et qui se renforce chaque jour de l’indifférence qu’on lui montre. Ça se terminera mal, cette histoire. On le pense en levant le coude comme Pure Malt en personne.
Elle marche. Elle traîne un chien mort. Quand on s’en étonne, elle tchipe sans cracher et la chouette fait remarquer que c’est une compagnie comme une autre, et même supérieure à d’autres par son poids conséquent qui permet à la fille d’exercer ses muscles : ce n’est pas un petit chien, un danois. Un chat mort est cousu par la gueule à la gueule du chien, on le remarque à peine tant il est petit : ce n’est pas grand, un chat nouveau-né. Une puce ni morte ni vive est cousue par la bouche à la bouche du chat ; nous n’en tirerons pas de conclusion hâtive, comme ces minables qui n’ont rien de plus pressé que de trouver aux faits des interprétations qui les insultent. Même si la puce est aisément interprétable, comme une charte qui a conservé toutes ses lettres et tous ses sceaux. La fille traîne tout ça au bout d’une très belle laisse tressée à la vendéenne, nouée à sa taille, assez solide pour traîner mille autres salissures. Elle marcherait aussi vite sans avoir rien à traîner, alors autant traîner, se dit-on, mais il est douteux qu’elle se le dise. Elle arrive chez un homme, il perd toute retenue et annonce qu’il va donner libre cours à sa nature libidineuse. Il couvre le chien, le chat et la puce. L’homme s’adresse ensuite à la fille, tout en s’essuyant les pudenda : « Voulez-vous ? » Elle décline l’invitation en ne répondant pas. Ayant trimballé avec elle jusqu’au rivage sa compagnie qui s’est accru de l’homme, cousu par la bouche de la puce, elle adresse à la mer ce discours : « Comment te permets-tu de croire que tu m’intéresses, petite babiole ? Ce que je traîne sans y penser me paraît moins insignifiant que toi. Jamais je n’avais assisté à un spectacle aussi plat, d’une insipidité de cul mongol ôté de la selle. Ne t’avise pas de prétendre m’avoir vue, toi que j’ai déjà oubliée, toi que ce promontoire domine pour rien et dans les creux duquel tu viens hululer de façon grotesque (disant cela, elle met deux doigts talqués de tact dans les oreilles de la chouette). Et puis, comme les dessous de bras des crabes, tu sens mauvais ! » Comment les adversaires de l’éloquence réagiront-ils à ce morceau que les anthologies, plus soucieuses de ne pas le manquer que de le reproduire exactement, esquintent chacune à sa manière, dans la précipitation, de sorte que les écoliers seront appelés à admirer des versions fautives et à s’extasier devant des sottises ? C’est une question que nous ne posons même pas, la vie est courte comme la paille et la situation évolue trop vite.
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