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Citation de Partemps


Un vieil homme très tatoué, portant sur la chevelure de longues plumes noires, quelque chef sans doute, me prend par une main ; Petero me prend par l’autre ; tous deux en courant m’emmènent, et la foule nous suit.

Ils m’arrêtent devant une de ces demeures en chaume qui sont là partout, aplaties parmi les roches et le sable, ressemblent à des dos de bête couchée.

Et ils m’invitent à entrer, ce que je suis obligé de faire à quatre pattes, en me faufilant à la manière d’un chat qui passe par une chatière, car la porte, au ras du sol, gardée par deux divinités en granit de sinistre visage, est un trou rond, haut de deux pieds à peine.

Là dedans, on n’y voit pas, surtout à cause de la foule qui se presse et jette de l’ombre alentour ; il est impossible de se tenir debout, bien entendu, et, après les grands souffles vivifiants du dehors, on respire mal, dans une odeur de tanière.

À côté de la cheffesse et de sa fille, on m’invite à m’asseoir sur des nattes ; on n’a rien à m’offrir comme cadeau et je comprends, à certaine mimique éplorée, qu’on s’en excuse. Maintenant mes yeux s’accoutument, et je vois grouiller autour de nous des chats et des lapins.

Il me faut faire dans la matinée beaucoup d’autres visites du même genre, pour contenter les notables de l’île, et je pénètre en rampant au fond de je ne sais combien de gîtes obscurs — où la foule entre derrière moi, m’enserre dans une confusion de poitrines, de cuisses, nues et tatouées ; peu à peu je m’imprègne d’une senteur de fauve et de sauvage.

Tous sont disposés à me donner des idoles, des casse-tête ou des lances, en échange de vêtements ou d’objets qui les amusent. L’argent, naturellement, ne leur dit rien : c’est bon tout au plus pour orner des colliers ; mais les perles de verre sont d’un effet bien plus beau.

Cependant le plein jour est venu et, de tous côtés, le rideau de nuages se déchire. Alors, les aspects changent ; l’île plus éclairée, plus réelle, se fait moins sinistre, et d’ailleurs je m’y habitue.

Déjà, pour faire des marchés, j’ai livré tout ce que contenaient mes poches : mon mouchoir, des allumettes, un carnet et un crayon ; je me résous à livrer encore ma veste d’aspirant pour obtenir une massue extraordinaire que termine une sorte de tête de Janus à double visage humain, — et je continue ma promenade en bras de chemise.

Je suis décidément tombé au milieu d’un peuple d’enfants ; jeunes et vieux ne se lassent pas de me voir, de m’écouter, de me suivre, et portent derrière moi mes acquisitions diverses, mes idoles et mes armes, en chantant toujours des mélopées plaintives. Quand on y songe, en effet, quel événement que notre présence dans leur île isolée, où ils ne voient pas en moyenne tous les dix ans poindre une voile autour d’eux sur l’infini des eaux !

En plus du cortège qui se tient à distance, j’ai aussi conquis des amitiés particulières, au nombre de cinq : Petero, d’abord ; puis deux jeunes garçons, Atamou et Houga ; et deux jeunes filles, Marie et Juaritaï.

Toutes deux sont nues, Marie et Juaritaï, à part une ceinture qui retombe un peu aux places essentielles ; leur corps serait presque blanc, sans le hâle du soleil et de la mer, s’il ne gardait toutefois ce léger reflet de cuivre rouge, qui est le sceau de la race. De longs tatouages bleus, d’une bizarrerie et d’un dessin exquis, courent sur leurs jambes et leurs flancs, sans doute pour en accentuer la sveltesse charmante. Marie, qui fut un enfant baptisé par les missionnaires, — ce nom de Marie, à une fille de l’île de Pâques, déroute beaucoup, — n’a pour elle que sa taille de jeune déesse, sa fraîcheur et ses dents. Mais Juaritaï serait jolie partout et dans tous les pays, avec son petit nez fin et ses grands yeux craintifs ; elle a noué à l’antique sa chevelure, artificiellement rougie, dans laquelle des brins d’herbe sont piqués…

Mon Dieu, comme le temps passe !… Déjà dix heures et demie, l’heure à laquelle nous devons rentrer à bord pour le déjeuner, et j’aperçois là-bas, franchissant les lignes de récifs, la baleinière qui arrive pour nous reprendre. Mes deux camarades aussi reviennent de la chasse, suivis comme moi d’un cortège qui chante. Ils ont tué plusieurs mouettes blanches, qu’ils distribuent aux femmes ; mais de lapins, aucun. Quels mauvais commissionnaires nous sommes, tous les trois !… Et les grandes statues que j’étais chargé d’aller reconnaître, moi qui les ai oubliées !…
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