Influence de l'habitude sur la faculté de penser.
Nul ne réfléchit l'habitude, a dit un homme célèbre (Mirabeau, Conseils à un jeune prince, etc.); rien de plus plus vrai ne de mieux exprimé que cette courte sentence. La réflexion, au physique comme au moral, demande un point d'appui, une résistance : or l'effet le plus général de l'habitude est d'enlever toutes résistance, de détruire tout frottement; c'est comme une pente où l'on glisse sans s'en apercevoir, sans songer.
Ainsi l'habitude nous cache sous le voile de l'indifférence, la force des liens qu'elle a tissés ; pour connaître ces liens il faut vouloir leur échapper, il faut les sentir se relâcher, se briser ! ...
Decartes dit cette proposition : je suis, j'existe, dit-il, est nécessairement vrai toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit; qu'un génie trompeur se plaise à me créer des illusions sur tout, il ne saurait jamais faire que je sois rien tant que je croirai être quelque chose.
L'histoire des erreurs, des folies bizarres ou atroces de l'esprit humain, depuis le berceau des sociétés jusqu'à leur vieillesse, prouvent assez la force et l'ascendant général des illusions, des croyances et des pratiques superstitieuses de toute espèce, l'énergie et l'impétuosité des sentiments, l'opiniâtreté et la persistance de toutes les habitudes qui se rattachent à cette origine.
Nous ne pouvons guère plus cesser de percevoir quelque chose qui nous résiste, que cesser de sentir notre propre existence. L'impression d'effort est la première et la plus profonde de toutes nos habitudes ; elle subsiste pendant que les autres modifications passent et se succèdent ; elle coïncide donc avec toutes, et leur fournit une base où elles s'attachent, se fixent. Mais l'effort suppose deux termes, ou plutôt un sujet et un terme essentiellement relatifs l'un à l'autre ; c'est bien toujours le sujet qui est modifié, mais, s'il ne faisait que sentir, il demeurerait identifié avec sa modification, et s'ignorerait lui-même ; il ne peut se connaître sans se circonscrire, sans se comparer à son terme ; c'est dans ce dernier qu'il se perçoit, qu'il se mire en quelque sorte, c'est donc là qu'il rapportera également tout ce qu'il distingue et compare.
La faculté intellectuelle, par excellence, pour Maine de Biran, est la mémoire ; elle se retrouve au fond de tout ce qu'il y a de proprement intellectuel dans les opérations de l'entendement, à l'exception toutefois de l'acte primitif de la volonté, inséparable de la conscience. Elle est donc essentiellement distincte de l'imagination. Bien loin d'être une simple vertu représentative des choses extérieures, ce qui la caractérise, c'est le rappel volontaire de nos actes. Elle procède, dans ce qu'elle a d'original, non de la représentation, mais de la réflexion.
Dans une révolution, on croit devoir tout détruire, sans séparer le bon du mauvais ; et, parce qu'on entre dans une route diamétralement opposée à l'ancienne, on croit souvent prendre la seule bonne. Comme on s'était égaré en compliquant et multipliant indéfiniment les causes, on ne songea plus qu'à les simplifier, jusqu'à ce qu'on arrivât enfin à l'unité systématique, sinon de principe réel ou de cause première, dont on ne s'occupait plus, du moins à l'unité de classe de phénomènes ou de propriétés.
Ce sont des signes d'habitude qui, abstraits, en quelque sorte, des perceptions familières, et transportés au sein de formes nouvelles tout à fait différentes, donnent à nos premiers jugements une généralité trompeuse, et commencent à ouvrir le cercle de l'erreur avec celui de la connaissance.
L'imagination intellectuelle se distingue de l'imagination sensitive en ce qu'elle est toujours active et qu'elle suppose le concours de l'entendement et de la volonté. Mais elle se distingue de ces facultés elles-mêmes par son but, qui est d'émouvoir non d'éclairer.
Il y a des personnes qui nient encore l'utilité des doctrines et des expériences physiques pour expliquer les phénomènes de l'esprit et du sens interne ; d'autres au contraire, rejettent avec dédain, les observations et raisons psychologiques dans les recherches qui ont le corps pour objet, ou en restreignent l'application à certaines maladies. Il serait utile de discuter ces deux sentiments, de montrer et d'établir plus clairement jusqu'à quel point la psychologie et la physique peuvent être liées entre elles, et de montrer, par des preuves historiques, « ce que chacune de ces sciences a fait jusqu'ici pour l'avancement de l'autre