Pierre-Marie Baudonnière

La compréhension du geste de pointage [du doigt pour désigner une chose], de par la décentration qu'elle suppose, de par la compréhension de la causalité sociale qu'elle implique, est considérée comme un des meilleurs indicateurs prédictifs d'éventuels problèmes de développement. A tel point que qu'une étude très récente en a fait l'indice majeur pour la détection précoce de l'autisme infantile.

La symbolisation dont sont dotés les humains a eu des conséquences considérables sur l'ensemble de la transmission des savoirs au cours des générations. Elle est décelable vers dix-huit mois, mais l'ensemble des mécanismes qui la sous-tendent est en action dès la naissance. Le bébé humain, plus que n'importe quelle autre espèce, est doté d'une sensibilité étonnante aux convariations (ce qui varie en même temps, comme les mouvements des lèvres et l'audition de la voix du locuteur) présentes dans son environnement grâce à l'ensemble de ses systèmes sensoriels et moteurs. Cette sensibilité lui permet très précocement de détecter les régularités lorsqu'elles existent entre des phénomènes visuels, auditifs, olfactifs, tactiles, proprioceptifs (sensibilité aux mouvements de son propre corps).

Un des phénomènes les plus connus concerne la tendance, chez de nombreuses espèces, à manger davantage lorsque les individus s'alimentent en groupe que lorsqu'ils s'alimentent isolément, et cela a pu être démontré expérimentalement. Si un poulet et amené à manger seul jusqu'à satiété complète et qu'il est ensuite mis en présence d'un autre poulet encore affamé, le poulet rassasié se remettra à manger. Dans d'autres études, des chiots étaient alternativement, d'un jour sur l'autre, nourris seuls ou avec d'autres congénères. On a pu clairement montrer qu'ils mangeaient notablement plus lorsqu'ils étaient nourris en groupe qu'isolément. Des travaux similaires ont été menés chez le rat et les poissons avec des résultats très comparables. Les raisons de ce phénomène ne sont pas précisément établies. L'effet de la compétition a occasionnellement été mentionné, l'idée étant que les animaux mangent plus en présence de congénères en raison d'une tendance générale à la compétition dans un environnement où les ressources sont souvent limitées. Cependant, dans les études où l'on s'est efforcé d'éliminer toute forme de compétition directe, les résultats n'ont pas montré de réduction de l'"effet facilitateur" de l'alimentation en groupe. Les aspects mimétiques, liés à la présence de congénère semble être les plus importants.

Les groupes de primates sont, dans la plupart des cas, dotés d'une structure de dominance: certains individus se trouvent au sommet de la hiérarchie, d'autres enfin sont dominés. L'éthologiste Édouard Menzel a aussi pu montrer que les "innovations" étaient d'autant plus imitées qu'elles étaient le fait d'un individu dominant. Cela ne signifie pas que les dominants soient plus inventifs que les autres, mais résulté certainement du fait que, dans ces groupes, l'attention portée aux différents membres est très inégale. Les dominants sont bien plus observés que les autres en raison de cette structure hiérarchique. Leur position de modèle est donc beaucoup plus probable que celle d'un dominé qui est peu sujet d'attention.