En 2006, Jean Pierre Deloux publiait un recueil de textes disparates que Plantard lui avait confiés en 1983 pour l’hebdomadaire Nostra, sous le titre Archives secrètes du Prieuré de Sion. La plupart, affirme-t-il, dont de l’écriture de Pierre Plantard et portent le cachet du Prieuré de Sion. De fait, en dehors de rares articles qui suggèrent la patte très reconnaissable de Philippe de Cherisey, le style est très proche de ce que nous avons vu sous la signature Brisieux dans Vaincre et l’on peut raisonnablement en attribuer la paternité à Plantard. Mais c’est Deloux qui, pour cette édition posthume, les a classés et regroupés selon les thématiques qui lui ont paru le plus pertinentes. On aurait pu les ordonner autrement, selon d’autres critères. Mais jetons d'abord un coup d'œil sur la table des matières telle que nous l’offre Deloux.
52 textes labellisés Géographie se rapportent de près ou de loin aux îles Canaries et à la question du méridien O, O pour origine ou zéro mal écrit.
43 décrivent les origines du christianisme.
42 seraient des miscellanées symboliques et hermétiques, en d'autres termes des inclassables.
31 se rapportent à l'histoire ou plus exactement à une sorte d'uchronie.
22 sont des variations mythologiques, le terme variation devant se lire comme en musique.
18 seulement se rapportent à Rennes le Château et au Razès.
On voit par ce simple décompte que Rennes n'était pas la préoccupation principale de Plantard et ne prenait sens que du reste, alors que ces articles ou ces notes semblent avoir été rédigés au moment où Gérard de Sède lance la chasse au trésor et révèle le légendaire du Prieuré, où d’autres documents, de simples polygraphiés, sont déposés à la Bibliothèque Nationale.
Feuilletons sa bibliographie au fil des pages. Il cite les auteurs antiques comme Hérodote ou Strabon, quelques écrivains médiévaux, quelques livres bibliques, mais le plus étonnant, ce sont les auteurs quasiment contemporains, du XIXe et du XXe siècle. Chacun apparaît très peu, une fois ou deux, mais on relève des noms inattendus : Edmond About, Lucien Augé (de Lassus), Busnel, Cousteau, Roland Dubillard (un apport de Cherisey), Lawrence Durrel, Einstein, Freud, Claude Gaignebet, René Grousset, Grasset d'Orcet, Jung, Claude Lévi-Strauss, Pierre Louÿs, Maurice Magre, François Mauriac, Margaret Murray, Raymond Oursel, Erwin Panofski, Louis Veuillot et d’autres encore. Si l'on suit les auteurs qu'il lit et qu'il cite, Plantard s'intéresse à la géographie, aux terres lointaines, aux coutumes, folklore ou ethnologie, à la psychologie et à certains points d'histoire, ainsi qu’à la « langue des oiseaux ».
Notons aussi les manques :
Il ne lit pas les auteurs dont il utilise les noms dans les polygraphiés de la BN.
Il ne lit pas dom Vaissette et n'envisage l'Aude que chez les antiques.
Il ne lit pas Fédié que citera abondamment Gérard de Sède.
En dehors de Maurice Magre et de Grasset d’Orcet, il ne lit aucun des classiques de l'ésotérisme.
S’il cite Maurice Leblanc dans sa préface à La vraie langue celtique, il est absent des textes reçus par Deloux.
C'est dire qu'on ne retrouve dans ces Archives du Prieuré de Sion presque rien de ce qui a fait courir ses épigones. Tout se passe comme si l'enseignement en interne ne s'intéressait que très peu à Rennes le Château.
Certains de ces articles méritent un commentaire plus développé, même s’il n’est pas possible d’éplucher entièrement le livre. Dans ce synopsis, nous ne donnerons encore qu’un exemple, l’analyse mythologique de l’un des articles consacrés au personnage d’Hercule sous le titre « L’élu ». Hercule en quête des pommes d'or des Hespérides y est opposé à un berger Pâris en qui il faudrait reconnaître le prince troyen qui devra donner une pomme comme prix de beauté à l'une des trois déesses rivales. Evidemment, ce thème induit sans le dire le berger Ignace Pâris découvreur de trésor. Mais Plantard va plus loin puisqu'il établit une équivalence symbolique entre les trois déesses de Pâris, les trois pommes d'or des Hespérides et les trois Marie des Evangiles, avec une phrase ahurissante : Certains diront que Jésus naquit conjointement des trois Maries, d'autres que la mère vierge du Seigneur se maria trois fois. Ceci lui permet d'introduire sainte Brigitte d'Irlande comme une des mères du Christ, et ses trois filles, trois autres Brigitte, comme la récupération de trois sorcières. Il fait épouser à Marie successivement Zébédée, de qui elle aurait Jacques le Majeur, et Alphée de qui elle aurait Jacques le Mineur, Alphée étant aussi l'époux de la troisième Hespéride. Inutile de dire qu'on ne trouve pas trace d'une telle exégèse chez d'autres auteurs ! Pour autant, il ne s'agit pas d'un simple délire mais d'un montage élaboré.
Trois mères ? Ce sont les matres celtiques sur lesquelles on ne connaît aucun récit mythique mais qui font encore l'objet d'un culte actif en Allemagne. On en a un écho dans la mythologie irlandaise par la triple Brigit, fille du Dagda, dont le mythe a inspiré le légendaire de sainte Brigitte. Quant aux sorcières, on va de suite songer à celles d'Hamlet...
Bien entendu, les trois Marie ne sont pas les mères du Christ, pas même dans le folklore chrétien le plus populaire, mais traditionnellement les femmes témoins de sa résurrection dans l'Evangile de Luc : Celles qui dirent ces choses aux apôtres étaient Marie de Magdala, Jeanne, Marie, mère de Jacques, et les autres qui étaient avec elles . On ne sait pas pourquoi la tradition ultérieure a transformé Jeanne, femme de l'intendant d'Hérode, en une autre Marie, sinon par attraction des trois matres du culte celtique. Par son raccourci qui en fait les « mères du Christ », Plantard le suggère fortement mais ne l'a pas inventé. C'est un pont-aux-ânes des études de folklore depuis les travaux de Pierre Saintyves sur les saints, successeurs des dieux. De même, sans le dire, il reprend ainsi le discours classique des pères grecs de l'Église et des iconographes qui assimilent la naissance du Christ et sa mise au tombeau. Assimiler les trois Marie, de témoins de la résurrection devenues mères putatives, à sainte Brigitte, à la triple Brigit ou aux matres, c'est se placer dans le registre mythique de la fécondité/fertilité. Or que sont les déesses qui viennent demander l'arbitrage du prince berger Pâris ? Héra, épouse de Zeus et protectrice du mariage, Aphrodite déesse de l’amour et Athéna, inspiratrice des artisans et des marins. Dans cette épreuve de la pomme, nous ne quittons pas le registre de la fécondité/fertilité.
Quant à Pâris, le légendaire fait effectivement de lui un prince adopté par un berger. Le motif de l'enfant royal exposé à cause d'un mauvais présage et recueilli par un berger, un chasseur, un autre roi est un grand classique de l'Antiquité : Sargon d'Akkad, Moïse, Œdipe, etc. Donc derrière le berger Pâris, il faut lire le très puissant mythème du roi caché si ce n'est rejeté. Mais contrairement à Sargon ou Moïse, Pâris appartient à une mythologie pessimiste : sa reconnaissance par Priam qui le réintègre parmi les princes ne débouche pas sur un règne glorieux ou la fondation d’un peuple ; elle annonce la fin de la cité. On connaît la suite : aveuglé par la protection d’Aphrodite, Pâris enlève Hélène et s’ensuit la guerre avec les Achéens, les dix ans de siège et la ruine finale. Choisir Pâris comme roi caché, c’est aussi suggérer que le rôle du prétendant sera de détruire la civilisation présente et non de la porter à des sommets de gloire. Allons plus loin en déroulant le fil des mythes : grâce à Pâris, Troie s’effondre mais c’est, comme le grain enfoui en terre lors des semailles, pour porter du fruit, celui des empires ultérieurs : Rome, puis les Francs s’en proclamèrent les héritiers. Il s’agit d’une thématique de mort/renaissance mais à l’échelle de l’histoire collective. (GB)
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