Je tiens à aimer les hommes et non les connaissances qu'ils ont. Un intellectuel n'estime les hommes qu'en fonction de leurs diplômes et les femmes qu'en raison de leur ignorance pour mieux les dominer et s'aimer à travers elles. Oh ! certes, ils jurent le contraire, car ces vérités les révoltent. Ils ne savent même plus qu'ils ont toujours confondu connaissance et personnalité. Il faut tout leur apprendre, ce sont des animaux sans instinct, sans flair. Il faut surtout leur apprendre à aimer. Leur amour ne sera jamais qu'intellectuel, fabriqué. Il ne sera jamais naturel et incarné.
La science, nous la tenions entre nos mains. Il y a toujours eu parmi les Jésuites de très grands savants, des directeurs d'observatoires, chargés de missions en Chine, en Inde, en Afrique. Nos théologiens se battent comme du temps de Pascal. Nos confesseurs entendent toujours les grands de ce monde et voilà que la terre se fend, s'ouvre, glisse sous nos pieds et nous engloutit.
Quand les forces de la nature se mettent à traverser un corps d'adolescent, elles parviennent à changer Dieu lui-même en une abstraction dérisoire, à faire espérer le mal sous le visage du plaisir. Les plaisirs de la chair laissent l'enfant indifférent, mais l'adolescent attend de l'instinct ce que Dieu, pense-t-il, ne veut pas lui donner. Notre drame, Alain, est d'attendre du mal quelque chose. Nous devons te montrer les inconvénients, les douleurs du sacerdoce.
Vivre seul, sans femme, sans famille, sans enfants, sans cette tendresse qu'un prêtre n'a pas le droit d'aimer, c'est une folie. Certains ont la force, d'autres pas. Certains sont faits pour le mariage. Les plaisirs de la chair, ils ne pourront pas s'en passer. Les femmes surtout ne peuvent s'en passer. Combien de jeunes filles échouent au bord du monastère... Pardonne cette expression : il leur faut quelqu'un dans leur lit.
Si votre nourriture n'est pas bonne, songez aux petits Hindous et aux petits Chinois qui n'ont pas à manger. Mangez le pain le plus dur. Habituez vos gencives à saigner et vos dents à mordre. On devient mou en mangeant des choses molles, en ne faisant que des choses faciles. Devenez des chefs. Aimez à vivre inconfortablement. Vous n'êtes pas sur terre pour devenir gras, mais pour faire triompher la vérité.
Il n'est pas possible de vivre saintement quand on a vécu dans le désordre. On ne meurt pas ami de Dieu quand on a été son ennemi toute la vie. Les saints, pour s'assurer tout de suite une bonne mort, ont méprisé les richesses, les plaisirs et les espérances fugaces du monde.
Quand on est habitué à être pensionnaire depuis l'âge de neuf ans, on ne se fait pas à la liberté. La vie, le mouvement, le bruit des rues m'a effrayé. Voir tout à coup tant de gens libres à la fois, cela, je vous assure, peut rendre fou. Mais en même temps, j'étais heureux.
Il ne s'agit plus aujourd'hui d'autorité ou de révolte individuelle. Il s'agit de révolte de groupes, ou de pays entiers contre une civilisation dont nous avons perdu le contrôle à force de nous en isoler. La fausse morale poétique des fausses vertus tranquillisantes.
La punition la plus humiliante m'était indifférente auprès des paroles terribles que me réservait le Père de Sainte-Terre. M'envoyer au séquestre, c'était me reconnaître responsable de mes actes. Et cela me faisait assez plaisir qu'on reconnût ma responsabilité.
En m'évadant d'un des plus célèbres collèges de France, j'avais commis le péché qui ne se pardonne pas. Quitter son collège, c'est trahir ses professeurs. Mais faire le mur d'un pensionnat tenu par les Jésuites, c'est trahir Dieu lui-même.