Primo Levi

Il y a plusieurs années, peu après la fin de la guerre, on m'a fait passer (ou plutôt je suis allé passer, presque de mon plein gré) une série de tests psychologiques. Sans grande conviction, sinon tout à fait à contrecœur, j'avais présenté une demande d'embauche auprès d'une grosse société ; j'avais besoin de travailler, mais je n'aimais pas les grosses sociétés, et j'éprouvais des sentiments ambivalents, craignant et espérant tout à la fois une réponse négative. Je reçu une lettre, dans laquelle on m'invitait à me soumettre "à un certain nombre d'examens" tout en m'avertissant que les résultats de ces derniers n'influeraient en rien sur mes chances d'embauche, mais devaient permettre d'éviter "qu'un homme rond ne se retrouve dans un trou carré". La hardiesse de l'image me surpris et m'intrigua : j'étais plus jeune, alors, et attiré par tout ce qui est nouveau. Eh bien, essayons, voyons un peu quel effet ça fait!
Dans la salle d'attente, je me trouvais en compagnie d'une trentaine d'autres candidats, presque tous des hommes, presque tous jeunes et presque tous anxieux. On nous soumit à une visite médicale expéditive et à un interrogatoire distrait ; le tout me rappelait désagréablement la cérémonie, en vérité autrement brutale, qui avait marqué quelques années auparavant mon entrée au Lager : c'était comme si un étranger regardait à l'intérieur de vous pour voir ce que vous contenez et ce que vous valez, comme on fait d'une boîte ou d'un sac.