Un critique est d'ordinaire l'homme le moins en situation d'apprécier sûrement la valeur d'une oeuvre. Il procède d'une éducation spéciale, s'est fait des goûts prémédités, vit dans un milieu restreint, appartient plus ou moins à telle ou telle école. Ce serait bien miracle si, dans des conditions aussi particulières, il arrivait jamais à énoncer autre chose que des jugements particuliers.
Si Tallemant n'a puisé ses renseignements qu'aux sources les plus sûres, s'il ne les a admis qu'après avoir vérifié leur authenticité, et s'il les a consignés sans altération, son livre est une des plus précieuses mines de petits faits que nous possédions. A toutes ces conditions on a cru jusqu'ici qu'il avait satisfait et les historiens — celui qui écrit ces lignes s'en accuse le premier — ont toujours tablé sur ses dires sans la moindre méfiance. Mais à présent que voilà mon enquête terminée, je change de sentiment et je n'hésite plus à déclarer qu'il convient de bien se tenir en garde et de ne jamais invoquer le témoignage de Tallemant sans le plus sérieux contrôle.